Une immense déception et une impression de gâchis m’assiègent après avoir achevé la lecture du dernier ouvrage de Jakuta Alikavazovic, Comme un ciel en nous.
Pourtant, ce n’est pas sans espoir que j’ai entamé les premières pages. L’idée d’un retour à l’enfance à travers une nuit passée dans le Louvre, qu’elle avait l’habitude de visiter avec son père, m’enchantait. Le mystère de son projet réel, qui demeure jusque dans les dernières pages, excitait ma curiosité, d’autant plus que l’auteure rappelle que son père lui demandait, à chaque visite, comment elle s’y prendrait, elle, pour voler la Joconde : « mon secret, c’est que je suis venue ici, cette nuit, pour redevenir la fille de mon père ».
C’est l’occasion d’un hommage rendu à son père, à ce qu’il lui a transmis comme héritage culturel : « le Louvre est la première ville française où je me suis senti chez moi », disait-il. « L’histoire de l’art, c’est ce qu’il m’a transmis à la place de son histoire à lui, savamment effacée et redessinée au gré du temps ». Son père, tel qu’elle le décrit, est un homme de son temps, qui consacre les valeurs davantage que l’identité d’un pays : « Il croyait qu’une identité pouvait s’inventer, se créer comme on crée une œuvre d’art tout en étant créée ne jamais manquer de naturel. Il croyait que l’on peut se choisir des valeurs pour patrie ».
De sa situation personnelle, l’essayiste en tire des réflexions intéressantes sur le temps qui passe, sur la mémoire changeante, sur le regard que nous avons vis-à-vis de l’art qui évolue et se transforme au gré du temps et des progrès techniques : « L’obscurité change tout. C’est l’électricité qui fige les statues ». Autre passage que j’ai trouvé particulièrement pertinent et bien écrit : « notre rapport aux œuvres a été complètement transformé par cette passion contemporaine du visible ».
J’ai par exemple trouvé passionnante l’idée qu’il n’y avait, à l’époque du vol de la Joconde par un patriote italien, aucune image de ce tableau, tout au long de son absence. L’auteure ajoute que l’image que les gens avaient de la Joconde durant cette période a nécessairement évolué. Ce sont des lignes passionnantes.
Ainsi, lorsque la narratrice utilise sa situation personnelle et l’hommage à son père pour développer des réflexions universelles et transcendantales, j’ai été convaincu. Mais lorsque ces particularismes débouchent sur un autocentrisme un peu abusif, ce qui est le cas tout au long de sa seconde partie, j’ai été déçu, voire révolté, après une première partie si qualitative.
« Ce qu’on appelle grandir est une série de trahisons », écrit-elle. L’auteure semble regretter ses trahisons envers son père, de s’être tournée vers l’anglais, langue qu’il ne parlait pas, d’avoir quitté la France, pays qui a accueilli son père. Elle semble vouloir se racheter en cherchant des excuses à sa fuite, et en rendant un hommage vibrant à son père.
Plusieurs éléments m’ont concrètement gêné. Le premier est de voir du racisme partout. Le racisme est une chose beaucoup trop grave pour ne pas le banaliser ainsi : mal prononcer ou mal orthographier son nom n’est pas du racisme ! Cela arrive à une très grande majorité de Français, ce n’est ni un drame, ni du racisme. Deuxièmement, la narratrice se plaint qu’à l’école, lorsqu’elle affirmait que son père aimait peindre, ses camarades osaient penser qu’il était peintre en bâtiment. Je ne vois nul racisme dans cette anecdote. De nombreux Français, dont les ancêtres ont vécu en France depuis des siècles, ont un père qui exerce cette profession, et cela n’est ni une honte, ni une humiliation. Je crains que la narratrice ne confonde les habitants et les problématiques des grandes métropoles avec celles et ceux de tout le reste de la France, qui n’ont, par exemple, jamais eu la chance d’aller à un musée avant leur majorité.
Cette banalisation du racisme, à une époque où la société française est fragilisée et qu’il faudrait au contraire mettre en avant tous les éléments qui tendraient à nous rassembler, me semble regrettable, d’une part parce qu’elle occulte et fait de l’ombre à de véritables actes de racisme, d’autre part parce qu’elle encourage l’autocentrisme et la complainte de chacun, chaque individu ayant eu à se plaindre, un jour, d’une attitude néfaste de la société à son égard.
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