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  • Mémo'art d'Adrien

Anne d'Autriche, de Jean-François Solnon



« Quel roman que ma vie ! ». Généralement attribuée à Napoléon, cette phrase aurait pu être écrite ou prononcée par Anne d’Autriche, infante d’Espagne, reine de France et de Navarre, et mère du futur Louis XIV. Dans la dernière biographie de ce personnage historique parue aux éditions Perrin, Jean-François Solnon relate de sa plume géniale le destin romanesque de cette femme d’État.


« ignorante, paresseuse et indolente » selon Louis Battifol, « paresseuse, sotte, d’une parfaite ignorance » selon Jules Michelet, Anne d’Autriche souffre d’une image désastreuse auprès de certains de nos historiens, en grande partie en raison des clichés assortis à sa nationalité espagnole. De cette époque, et notamment celle de la Fronde, certains ont retenu qu’elle aurait manqué d’ardeur dans l’exercice de sa fonction de régente, et que l’on devait tout à Mazarin, véritable homme d’État de la période.


L’immense vertu du livre de Jean-François Solnon est de renverser toutes ces images, de replacer Anne d’Autriche à la place qu’elle mérite d’occuper, à savoir « d’être mise au rang des plus grands rois », selon les propres mots de Louis XIV. Là où la biographie est une grande réussite, c’est que son auteur ne sombre pas dans l’excès inverse, et n’accorde pas a contrario un rôle exagérément prépondérant à Anne d’Autriche. Il s’en tient à la vérité historique, et rétablit justice et justesse. Pour cela, il s’appuie sur de nombreux écrits, en particulier ceux de La Rochefoucauld et de Madame de Motteville, dont il tire souvent le vrai du faux.


La lecture est doublement agréable. D’une part, elle l’est parce que Jean-François Solnon a un style épuré, dynamique et fluide. Chacune de ses phrases comporte une idée et un intérêt. Il n’y a pas ce sentiment de perdre son temps, ou cette impression que la même chose pourrait être dite en moins de mots. D’autre part, l’historien a pris le parti de relater la vie de la souveraine à travers le prisme de grandes dates ayant marqué son existence. Cela accroit le caractère romanesque de cet ouvrage, et c’est bienvenu.


Pour ces deux principales raisons, je vous conseille prestement de lire cet ouvrage. Une fois ces considérations générales énoncées, je vais à présent me pencher sur certains traits de la vie de Anne d’Autriche tels qu’ils ont été développés par Jean-François Solnon.


MÈRE DE LOUIS XIV ET SŒUR DE PHILIPPE III


Espagnole et sœur du roi d’Espagne. Cela lui fut maintes fois reproché, cela provoqua de nombreuses suspicions à son égard. Alors que c’était justement pour ces deux raisons qu’elle avait été choisie pour épouser le futur roi de France. C’est tout le paradoxe qui entoure le destin de cette reine.


Née le 22 septembre 1601, fille ainée du roi et de la reine d’Espagne, « elle tire fierté de son rang. Elle sait très vite qui elle est, tient sa place dans les cérémonies publiques ». Elle semble donc être faite pour devenir reine. D’autant qu’elle naît cinq jours avant Louis XIII, ce qui fit dire à toute l’Europe qu’ils étaient nés pour s’épouser.

Mais point de destin romantique dans cette histoire. Comme le montre Jean-François Solnon, « avec le double mariage espagnol, l’occasion est belle de démontrer aux catholiques du royaume la sincérité de la conversion de leur roi » (Henri IV). Par ailleurs, « pareille union effacerait le souvenir des ingérences récentes de Madrid au service du camp catholique ultra dans les guerres de religion ». De plus, « retirer l’appui de l’Espagne aux princes du sang prompts à la révolte aiderait à rétablir la paix civile dans le royaume ». En conclusion, « il est rare qu’un mariage royal ait été autant désiré ».


C’est ainsi qu’en 1615, Anne d’Autriche est « échangée » avec Elisabeth, sœur de Louis XIII, destinée à épouser le frère d’Anne, le futur Philippe IV. Cette cérémonie est superbement racontée par Jean-François Solnon, à tel point que le lecteur a l’impression de faire partie d’un des deux cortèges royaux. Il faut s’imaginer ces deux princesses adolescentes, se croisant sur le petit ilot aménagé sur la Bidassoa (petite rivière située entre l’Espagne et la France), chacune se dirigeant vers un pays totalement inconnu, vers une cour hostile.


Le cinéma puisant ses meilleurs scenarii dans l’histoire, un film a même été adapté à partir de cet échange de princesses, coécrit et réalisé par Marc Dugain, en 2017.



Anne d'Autriche, représentée par l'illustratrice des Mémo'art d'Adrien


Un passage du livre évoque tout particulièrement cette hostilité envers son pays d’origine. C’est le moment où Louis XIII décide de renvoyer en Espagne une grande partie de l’entourage d’Anne : « la défiance de Louis envers l’entourage étranger est culturelle, le roi ayant été élevé dans la haine constante de l’Espagne, ennemie traditionnelle du royaume des Lys » (p. 69).


La solitude affecta énormément Anne d’Autriche. Elle trouva remède dans sa correspondance avec sa famille Espagnole, y compris durant le conflit qui opposa la France à l’Espagne, ce qui lui sera beaucoup reproché. Sans nier ce fait, Jean-François Solnon montre dans son ouvrage, point par point, qu’une fois régente, aucun élément de la politique d’Anne d’Autriche semble indiquer la moindre complaisance ni complicité avec l’Espagne, ce qui fit dire au roi d’Espagne lui-même qu’elle n’était plus espagnole.

« Convaincue qu’un gouvernement fort convenait à la France, elle était devenue davantage la mère de Louis XIV que la sœur de Philippe IV », écrit le biographe.

D’après l’auteur, elle fit sienne cette maxime de Mazarin : « pour porter les affaires de la France au plus haut point de prospérité, une seule chose est nécessaire, c’est que les Français soient pour la France ».



UN IMMENSE PERSONNAGE DE ROMAN


Amie lectrice, ami lecteur, si vous n’avez jamais lu Alexandre Dumas, alors il faut rapidement y remédier ! Mais si vous l’avez déjà lu, vous avez nécessairement croisé Anne d’Autriche dans l’un de ses immenses romans, Les trois mousquetaires ou Vingt ans après. En parcourant cette biographie de Jean-François Solnon, vous prendrez, comme moi, un immense plaisir à reconnaître des passages géniaux de ces deux romans, à commencer par son idylle avec le Duc de Buckingham et la fameuse affaire des ferrets, ou encore ses relations très tempétueuses avec Richelieu. Comme moi, j’espère, vous sourirez ou serez déçu en découvrant la véracité ou non de certaines anecdotes reprises par Dumas. Je ne développe pas davantage, mais tout amateur de Dumas adorera cette biographie !


Richelieu, représenté par l'illustratrice des Mémo'art d'Adrien


La vie d’Anne d’Autriche semble écrite à l’encre romanesque. De manière très exceptionnelle pour son époque, dix années durant, « Anne a été entourée de toute la tendresse d’un père et d’une mère aimante, présente et attentive » (p.24-25). Mais, tragiquement, elle perd sa mère à l’âge de dix ans, et ce fut un véritable drame.


Son mariage avec Louis XIII n’eut rien du conte de fée. Louis XIII était un être distant, peu aimant, très peu attiré par les choses de l’amour. Sa pudibonderie, qui trouve certainement sa source dans son éducation, explique que leur véritable premier devoir conjugal intervient très tardivement, contrairement à la version officielle de la nuit de noces construite par Marie de Médicis (p. 53). Les quelques moments d’affection entre les époux sont trop rares pour effacer l’isolement et la tristesse d’Anne, délaissée par son mari, peu appréciée par sa belle-mère qui « s’accroche au pouvoir et refuse de s’effacer devant la petite reine ».


Délaissée, l’histoire prêta ainsi à Anne d’Autriche deux grandes idylles, avec le Duc de Buckingham et avec Mazarin. Cette biographie aborde avec beaucoup de sérieux, et un brin de mystérieux romantisme, ces deux histoires, dont je vous laisse découvrir les tenants et les aboutissements avec le même intérêt que moi.


La biographie parvient néanmoins à décrire brillamment le caractère mélancolique dont souffrit Anne une grande partie de sa vie. La religion constitua un de ses remèdes, une source de renoncement personnel, sans pour autant céder à la bigoterie. La mélancolie et la tristesse de cette femme se lisent dans cette phrase sublime : « Je voudrais qu’il fût toujours nuit ; car, quoique je ne puisse dormir, le silence et la solitude me plaisent, parce que dans la jour je ne vois que des gens qui me trahissent ».


UNE FEMME D’ÉTAT


La France comporte de grandes femmes d’État dans son histoire. Anne d’Autriche en fait indubitablement partie. L’histoire est ainsi bien faite chronologiquement qu’elle se situe entre Marie de Médicis, qui était prête à tout pour s’accrocher au pouvoir, quitte à s’opposer militairement à son fils, et Marie Thérèse, épouse de Louis XIV, qui demeurera toute sa vie indifférente à la chose publique. Louis XIV lui doit de lui avoir transmis un royaume stable et une couronne sauve le jour de sa majorité, en 1651. Il ne s’y trompe d’ailleurs pas ce jour-là : « Madame, je vous remercie du soin qu’il vous a plu de prendre de mon éducation et de l’administration de mon royaume. Je vous prie de continuer à me donner vos bons avis, et je désire qu’après moi vous soyez le chef de mon conseil ».



Louis XIV, représenté par l'illustratrice des Mémo'art d'Adrien


Tout le passage sur la Fronde est raconté en détails par Jean-François Solnon. C’est un moment passionnant, et le rôle de Anne d’Autriche y est justement décrit : « Anne d’Autriche a incontestablement sauvé la couronne. Courageuse, maîtresse d’elle-même, doté d’un sang-froid insoupçonné, Anne s’est affirmée comme une reine habile et déterminée » (p. 313). Mazarin dira même d’elle qu’elle est « vaillante comme un soldat ».


Durant cet évènement de la Fronde, qui rappellera au lecteur le roman Vingt ans après d’Alexandre Dumas, Anne fit preuve de fermeté, en particulier lors de l’épisode de l’arrestation des princes. Comme sut le montrer son biographe, Anne d’Autriche parvint à diviser les frondeurs, à faire preuve de fermeté tout en se montrant souple et conciliable dans les moments qu’elle jugeait les plus sensibles et propices à faire basculer définitivement la ville de Paris dans la révolte généralisée. La gestion de la Fronde dévoila toute l’intelligence politique de ce personnage.


Et pourtant, elle fut longtemps écartée du pouvoir, et s’y intéressa assez peu, d’ailleurs. Ce fut la naissance de son fils qui lui donna envie de davantage se préoccuper des affaires du royaume. Elle « naît à la politique » en 1638 (p. 174). Elle s’allie ainsi avec Marie de Médicis pour combattre ouvertement la politique de Richelieu : « En s’opposant à visage découvert à la politique de son principal ministre, Anne d’Autriche a creusé le fossé qui la séparait depuis plusieurs années de son mari. La marginalisation politique répond à la disgrâce privée » (p. 123).


A la mort de Louis XIII, elle devient régente, mais est accompagnée d’un conseil de régence, et décide de nommer Mazarin pour mener les affaires du royaume à ses côtés. Elle fait le choix de la continuité, ce qui stupéfait tous les grands du royaume, qui haïssent l’italien Mazarin autant que la reine espagnole. Elle resta fidèle fermement à Mazarin jusqu’à la majorité de Louis XIV, en se fixant comme objectif de toujours œuvrer dans l’intérêt de la France et de son fils, qui lui sera éternellement reconnaissant : « La défense des intérêts de son fils fut sa boussole, les leçons politiques de Mazarin sa méthode » (p 390).


Après la majorité de son fils, Anne d’Autriche n’est plus le centre des attentions, elle s’efface peu à peu derrière son fils qui illuminera la fin du siècle de son règne gargantuesque. L’un de ses derniers grands combats est de régler la question du mariage royal de son fils. Elle souhaiterait le voir épouser sa nièce, l’infante Marie Thérèse. Elle dissuade ainsi Louis XIV d’épouser la nièce de Mazarin, Marie Mancini, et transmet à son fils le sens de l’État et la gravité de sa nouvelle fonction. Louis XIV s’y résout, et épouse le 9 juin, dans l’église Saint-Jean-Baptiste de Saint-Jean de Luz, l’infante Marie Thérèse.


Intérieur de l'Eglise Saint-Jean-Baptiste à Saint-Jean de Luz


La description de la cérémonie et des journées qui l’entourent sont précises et détaillées, ce qui ne manqua pas de ravir l’auteur de ces lignes, natif de Saint-Jean de Luz, et auquel le nom des lieux réveilla en lui de brûlants souvenirs.


Plaque figurant sur l’Église, à l'emplacement de son ancienne porte



La boucle est ainsi bouclée pour Anne d’Autriche, qui séjourna également dans cette commune 45 ans auparavant, lors de son arrivée en France, et qui accueillit sa future belle-fille sur la Bidassoa, à l’endroit même de son échange, revoyant son frère pour la première fois depuis son enfance.


Au fond, la "maison de l'infante", ayant accueilli Marie-Thérèse durant son séjour à Saint-Jean de Luz



Elle s’éteindra, quelques années plus tard, le cœur apaisé d’avoir transmis à son fils, en tant que mère et en tant que régente, tous les ingrédients nécessaires pour faire de son siècle le Grand siècle. Les pages qui racontent son décès, la douleur de son fils, le sentiment pour tout un royaume d’avoir perdu un grand personnage de son histoire, sont très émouvantes.


En conclusion, je vous encourage vivement à lire cette biographie de Jean-François Solnon, qui se lit comme un roman, qui rend justice à une immense reine née espagnole, morte française.







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