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De Gaulle, une vie… incroyable !



Par Pierre Manenti


Pierre Manenti est Historien spécialiste du gaullisme et de la Ve République. Il est également Directeur de cabinet adjoint de la ministre déléguée aux collectivités et à la ruralité.


C’est sous le titre de De Gaulle, Une vie, L’homme de personne (1890-1944) que l’historien et journaliste Jean-Luc Barré, éditeur de l’amiral Philippe de Gaulle (fils du général de Gaulle), auteur d’un remarqué Devenir de Gaulle (Perrin, 2003) et d’une biographie de François Mauriac (Fayard, 2 tomes, 2009 et 2011), à l’époque unanimement saluée par la presse, s’est lancé le défi de raconter la vie du plus illustre de Français.


Défi de taille quand on sait la littérature abondante sur le personnage : Philippe Barrès (Plon, 1941), Lucien Nachin (Colbert, 1944), Georges Cattaui (Aux Portes de France, 1944, rééd. Fayard, 1960), Jean Pouget (Fayard, 1973), Jean Lacouture (Seuil, 3 tomes, 1984-1985-1986), Max Gallo (4 tomes, Laffont, 1998), Paul-Marie de La Gorce (Perrin, 1999), Eric Roussel (Gallimard, 2002) et plus récemment Julian Jackson (Seuil, 2019), pour ne citer quelques-unes des très nombreuses publications sur le sujet.


Que restait-il donc encore à écrire face à ce monceau de biographies ? Beaucoup de choses, insiste Jean-Luc Barré, soulignant que « tout se passe comme si on estimait en savoir déjà assez, par crainte d’en savoir trop, et qu’il n’y ait plus rien à ajouter à un dossier clos une fois pour toutes » (pp. 10-11). L’historien du gaullisme ne peut qu’abonder en ce sens et, en même temps, le saluer d’avoir débuté son travail en reconnaissant la masse immense accumulée par ses prédécesseurs dans l’exercice, chez qui il puise de nombreuses informations.


Comment dès lors apporter des éléments nouveaux au débat ? Là encore, Jean-Luc Barré souligne l’existence d’un matériau brut, quasi vierge même, à l’exemple des cent mille documents réunis par le général de Gaulle pour l’élaboration de ses Mémoires de Guerre, « dont trois milles seulement utilisés pour son récit et quelques centaines révélés en fin de volume » (p. 12). Ces papiers personnels, auxquels l’auteur a eu accès en accompagnant l’amiral de Gaulle dans l’édition des Lettres, notes et carnets du Général, sont une source particulièrement riche, malheureusement peu citée en notes de bas de page.


Dans le premier tome de cette trilogie biographique aux airs de mammouth littéraire, dont on découvre les couvertures à la fin du livre, sur le repli de la jaquette (!), l’auteur revient aux sources du personnage et consacre un peu plus de 900 pages à la première moitié de sa vie, de son enfance et son milieu familial aux années de résistance, en passant bien sûr par sa formation militaire, les champs de bataille de la Première Guerre mondiale, l’entre-deux-guerres et la construction de sa matrice politique sous la Troisième République.


Pas de surprise réelle dans ce premier tome pour les passionnés du Général, même si Jean-Luc Barré revient avec force de détails sur les aspirations monarchistes du « père » de Gaulle, la formation militaire du jeune Charles dans ses heurs et malheurs, ou encore son parcours combattant pendant la Première Guerre mondiale, des premiers affrontements aux mois de captivité. Il détaille aussi par le menu son séjour polonais dans l’après-guerre, y compris sa liaison avec la princesse Seweryn Czetwertynski, que l’auteur met en exergue grâce à une lettre inédite de son neveu, aimablement partagée par Catherine Nay (p. 165).


Jean-Luc Barré insiste tout particulièrement sur le rôle des hommes politiques de la Troisième République, notamment des hommes de gauche, dans la carrière et la vie de Charles de Gaulle, quand l’Armée était plus réfractaire à ses idées, citant notamment ses liens avec Joseph Paul-Boncour, pourtant figure du socialisme jaurésien, qui le sent « appelé à jouer le premier rôle dans la construction du système nouveau de défense » (p. 195). Un compagnonnage politique qui ne sera pas sans laisser de trace dans la construction future du gaullisme, notamment sur les questions sociales.


Il évoque tout autant la figure et le rôle du colonel Émile Mayer, véritable mentor politique (mot que Jean-Luc Barré réfute cependant), en insistant néanmoins sur leurs désaccords, de fond comme de forme. Dans son salon, de Gaulle est « un des rares officiers, avec Lucien Nachin, et le seul classé de droite, monarchiste de surcroît » (p. 278). C’est pourtant chez lui qu’il fait ses classes politiques et nourrit son analyse aux côtés de ce partisan des théories militaires de Jaurès et de ce défenseur de la République, ce qui a certainement tempéré l’antiparlementarisme de ses jeunes années.

Sans concession avec l’orgueil du Général, qui a connu un début de carrière difficile en raison de son caractère parfois soupe-au-lait, Jean-Luc Barré met à nu le personnage, évoquant ses relations familiales, ainsi que sa petite-fille handicapée : « Nous abandonnerions tout ce qui est ambition, fortune, etc., si cela pouvait améliorer la santé de notre petite Anne » (p. 226), explique ainsi Yvonne. Et le Général de confier à Lacouture, après la mort de sa fille : « Sans Anne, peut-être n’aurais-je jamais fait ce que j’ai fait. Elle m’a donné le cœur et l’inspiration. »


Évidemment, Jean-Luc Barré consacre plus de la moitié de son premier tome aux années de guerre, évoquant la construction difficile de la France Libre, « un conglomérat au sein duquel se côtoient sans toujours se confondre cagoulards, camelots du roi et républicains de stricte obédience, catholiques, juifs et francs-maçons, militants de gauche nostalgiques du Front populaire et personnalités issues de courants plus conservateurs » (p. 427).


L’auteur ne fait l’impasse sur aucune des querelles de la France en guerre, des rivalités avec l’amiral Muselier, jusqu’au célèbre mais fantasque « complot » (pp. 586-593), de même qu’avec Catroux ou avec Giraud, notamment la fusion des deux équipes (pp. 784-791). Il ne manque pas non plus de souligner le rôle des Anglais et des Américains dans cette désorganisation des autorités françaises – ce que Julian Jackson avait déjà pointé il y a quelques années, en apportant (avec beaucoup d’originalité) des archives américaines et britanniques pour éclairer cette guerre de l’ombre sur fond de conflit mondial.


En abordant les détails des débarquements de Normandie et de Provence de juin et août 1944, puis la libération de Paris, Jean-Luc Barré évoque enfin les débats continus avec les Alliés sur l’organisation de la France libérée, mais pointe aussi l’homme derrière le géant politique, rapportant cette anecdote du Général questionnant son aide de camp, Claude Guy, la veille de la libération de la capitale : « Je me demande où est mon fils. » (p. 922), et le faisant brièvement extraire des combats pour l’embrasser, avant de le laisser repartir, armes à la main.


Servi par une plume très agréable à lire, ce premier tome de la biographie du général de Gaulle laisse donc le lecteur assouvi au terme de plus de 900 pages sur la première moitié de la vie de ce héros français. De Gaulle y paraît brillant, courageux, doté d’une grande capacité d’appréhension des réformes à conduire, et en même temps humain, fragile, confronté à l’hostilité d’un milieu et d’une profession, presque seul face au reste du monde, finalement, comme l’écrit si bien Jean-Luc Barré, comme l’homme de personne.



Pierre Manenti

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