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  • Photo du rédacteurPierre Manenti

La guerre des Haies : deux mois dans l’enfer du bocage normand (juin-août 1944)


C’est à un trio d’auteurs, Patrick Fissot, professeur d’histoire au lycée de Carentan, Nicholas Bellée, expert-comptable à Granville et passionné d’histoire, et Aurélien Baudoin, diplômé d’un master d’histoire, que l’on doit cette Guerre des haies, qui vient de paraître aux éditions OREP (2024), ouvrage de près de cent-cinquante pages, illustré de nombreuses photographies d’époque, de cartes et de schémas.

 

Deux des trois auteurs ont fondé, il y a quelques années, le Normandy Victory Museum, Musée de la guerre des haies situé à Carentan-les-Marais, dans la Manche, bien connu des passionnés. Le visiteur peut y découvrir une collection de 15 000 objets authentiques, mis en scènes à travers 27 tableaux sonorisés, au cours d’une visite qui peut durer d’1h30 à 3h en fonction de votre intérêt. Depuis son ouverture en 2017, le musée est régulièrement salué par la presse et a récemment redonné vie à un camp de soldats de la Seconde Guerre mondiale, avec le concours d’une cinquantaine de reconstitueurs.

 

Étape fondamentale et pourtant méconnue de la bataille de Normandie, la guerre des Haies, au cœur de leur ouvrage, court du 13 juin au 24 juillet 1944. Elle désigne l’avancée américaine très lente et coûteuse en vies humaines à travers le bocage normand, la succession de prés et de haies empêchant en effet l’alignement du front d’attaque et favorisant des combats de petites unités, les défenseurs allemands bénéficiant par ailleurs d’un camouflage fort utile face à la domination alliée du ciel. Elle semble ainsi signer un coup d’arrêt après le débarquement réussi de début juin.

 

Entre le 3 et le 14 juillet 1944, le VIIIe corps américain va ainsi perdre 10 000 hommes pour conquérir à peine 10 kilomètres de terrain ; le VIIe corps américain n’étant pas plus épargné avec 7 000 hommes hors de combat entre le 4 et le 9 juillet ! Les Allemands ne sont pas en reste, perdant deux tiers de la 17e division SS Götz von Berlichingen au cours de ces combats, dont les auteurs proposent une vision à l’échelle de l’unité de base pour se plonger au plus proche du terrain et raconter cette guerre des Haies dans le détail.

 

La guerre des Haies est généralement présentée découpée en trois étapes : l’avancée sur La Haye-du-Puits, la bataille du secteur de Saint-Lô et dans la région au sud de Carentan, vers Sainteny et Périers. Après la prise de Cherbourg, le 1er juillet, les forces américaines engagent en effet une offensive dans le nord du Cotentin, dans le secteur de La Haye-du-Puits, où les Allemands, retranchés, ont créé une ligne de défense, la ligne Mahlmann, soigneusement camouflée, qui sera très coûteuse en vie.

 

Parallèlement, à partir du 15 juillet, le XIXe corps d’armée américain se dirige vers Saint-Lô, l’offensive donnant lieu à un épisode rocambolesque, celui du bataillon perdu du major Bingham, isolé pendant une journée, sans munition et avec peu de nourriture. Le 18, enfin, les premiers blindés alliés entrent dans la ville. Par ailleurs, dans le secteur de Sainteny, enclavé entre les marais de Carentan et Périers, les combats sont, là aussi, extrêmement meurtriers, la situation topographique empêchant l’appui des blindés comme des forces aériennes.

 

Le sujet de la guerre des haies a été bien documenté depuis plusieurs années - on peut citer l’ouvrage de Michel Pinel, La Guerre des haies (2004) ou ceux de Leo Daugherty et Stephen Hart en anglais, Battle of the Hedgerows (2001) et The Battle of the Hedgerows : Bradley’s First Army in Normandy (2001). L’originalité du livre de Patrick Fissot, Nicolas Bellée et Aurélien Baudoin, chargé du développement de leur musée, n’est pas de revisiter cette histoire.

 

Elle repose, en réalité, sur une étude très détaillée de la réalité des combats, y compris sur le plan de la logistique. Les auteurs consacrent ainsi un premier chapitre sur la préparation à combattre dans un tel environnement, les Allemands étant présentés comme “des maîtres du camouflage” (p. 12), et un second à l’équipement des forces en présence, évoquant les casques et les tenues des forces, mais aussi l’adaptation à la réalité du terrain, ainsi les Américains qui retournent leurs blousons, “parce que la doublure était de couleur sombre et que cela leur fournissait une sorte de camouflage” (p. 24).

 

Évoquant les combats en tant que tels, les auteurs soulignent aussi “le manque d’agressivité” des armées américaines (p. 31), leurs unités cherchant à débusquer l’ennemi puis à solliciter un appui d’artillerie, les unités de blindés étant par ailleurs contraintes de se détourner des routes trop dangereuses, “les carcasses fumantes de chars immobilisés partout dans le bocage faisant partie des éléments qui ont [eu] un véritable impact psychologique sur les troupes américaines, perdues dans cet enfer des haies” (p. 34).

 

La guerre des Haies force donc les armées américaines à repenser leur stratégie de combat, avec des petites équipes formées autour d’un char qui tirait un obus au phosphore à chaque bout des haies, pour éliminer les positions de mitrailleuses lourdes, puis obtenait un appui en infanterie après seulement avoir mitraillé la zone. A l’identique, des unités de génie sont dépêchées pour faire sauter les haies, afin de permettre l’avancée des chars, quand ceux-ci ne sont pas équipés “d’une grande lame d’acier sur le devant, identique aux engins de chantier, permettant ainsi de pousser puis défoncer la haie” (p. 52).

 

L’avancée des Alliés n’est cependant pas continue sur le territoire et il est parfois nécessaire de se terrer dans une position acquise, les fameux trous de renard (foxholes), les Allemands disposant carrément “d’un réseau défensif de tranchées, trous individuels, bunkers enterrés” (p. 69), le général Mahlmann ayant transformé le bocage normand “en véritable forteresse” (Ibid), dynamique que cassent cependant l'arrivée au compte-goutte des renforts et le manque de soutien logistique, en nourriture comme en munitions, les auteurs proposant au passage deux chapitre extrêmement documentés sur  les rations et l’équipement médical des deux armées en présence.

 

Évoquant enfin la situation des prisonniers de guerre, et les spécificités de chaque camp, ainsi que quelques cas individuels particulièrement intéressants, ils concluent en soulignant à la fois le caractère meurtrier de ce front, “le combat le plus difficile mené par les troupes américaines en Europe avant la forêt de Huertgen et la contre-offensive des Ardennes” mais aussi leur capacité d’adaptation et d’innovation face à la réalité du terrain.

 

Aussi documentée que pointue, cette Guerre des haies nous replonge avec brio dans une étape décisive de la libération de la France et de l’Europe ! Elle est à mettre entre les mains des passionnés de la Seconde Guerre mondiale et de la bataille de Normandie, comme dans celles des lecteurs curieux d’en apprendre plus sur la réalité des affrontements, des armes utilisées à l’équipement, en passant par les rations de survie, le matériel médical et les stratégies de combat.


Pierre Manenti

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