Quelle serait la destination du hasard s’il montait dans un train ? Rencontrerait-il le destin sur son chemin ?
Je me suis posé cette mystérieuse question après avoir terminé la lecture de l’excellent troisième roman de Pauline Clavière, Wunderland. Après un premier roman prometteur, Laissez-nous la nuit, et un second roman non moins brillant, Les paradis gagnés, l’écrivaine signe là l’œuvre qui confirme définitivement son entrée parmi les plumes remarquables de son temps.
L’histoire est bouleversante. 1977. Deux jeunes allemandes arrivent dans un petit village du Cantal en pleine fête nationale. Leur arrivée est perçue avec méfiance, et suspicion. Pourquoi viennent-elles s’installer dans un endroit habitué à perdre ses habitants plutôt qu’à en accueillir de nouveaux. Quelle machination les transporte ici ? Pourquoi un jour de fête nationale.
Plus de 40 ans après, la narratrice, Pauline, mène l’enquête, avec sa mère, originaire de ce village. S’établit alors un parallèle entre les deux époques, à laquelle viendra rapidement s’ajouter une troisième époque.
Une enquête, mais surtout des personnages en quête d’ancrage. La terre est très présente dans ce roman. Le rapport à la nature, aussi. Je ne compte plus les passages merveilleusement écrits sur les paysages, sur le village, sur l’attachement à leur terre, et en même temps une certaine forme de mélancolie.
Ces descriptions se perdent dans la littérature française. Sans qu’elles ne soient de trop, je suis heureux de les retrouver dans ce roman, elles sont essentielles.
Il faut lire ce roman de Pauline Clavière pour comprendre ce qui fait de lui un grand roman de cette rentrée. Le particulier rencontre l’universel. Le lecteur a à la fois la certitude que le récit ne pouvait se passer que dans ce village, avec ces personnages, car l’écrivaine nous les rend attachants et insiste sur l’importance des ces paysages sur ses personnages, mais le lecteur, d’où qu’il vienne, est sensible et demeure bouleversé par les questions abordées par ce roman : le poids du destin, le rôle du hasard, l’attachement à là où il a grandi.
Que viennent-elles faire là ? La réponse est donnée progressivement au cours du roman, mêlant ainsi un élément fondamental de la deuxième guerre mondiale, le service de travail obligatoire, qui a touché des milliers de Français, pour qui le retour vers le village d’origine était délicat à assumer. Dans ce roman, ce sujet est abordé avec délicatesse, et finesse.
Mais, surtout, au-delà du style, au-delà de l’élégance des pages qui se tournent comme du lin, j’ai adoré le traitement de la féminité dans ce texte. « L’expérience du féminin est une chose unique qu’il n’est pas toujours aisé de préserver et qui exige tant de luttes, tant de larmes et de sacrifices que quelque fois cela donne le vertige ». J’ai ressenti ce vertige à plusieurs reprises en lisant ce roman dans lequel « les sorcières gardent le monde ». Ces femmes ont même modifié jusqu’à la « consistance de l’air ». C’est sublime.
Oui, des jeunes femmes seules et indépendantes, surtout parce qu’elles sont allemandes, ont été reçues comme des sorcières dans un village de France en 1977. Le roman apporte des réponses à ce mystère, sans ne jamais incriminer les habitants du village, sans ne jamais les mépriser, mais en nous révélant le quotidien d’un village de campagne dans les années 70.C’est pour moi, à ce jour, LE roman de cette rentrée littéraire, entre le Journal d’un curé de campagne de Bernanos et la série de BD « Magasin général » de Loisel et Trip.
Le destin a retrouvé sa gare. Le hasard aussi. Et ils ont enfanté ce roman.
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