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Mémo'art d'Adrien

Hiver 1812 : Retraite de Russie, de Michel Bernard


En ce beau matin du printemps 1813, « l’air est doux et parfumé ». La neige laisse peu à peu sa place aux flaques d’eau et aux larges prairies vertes. Le froid recule, le tiède progresse. Le calme semble souverain, et le rouge, si abondant auparavant, disparaît au fil des semaines. L’hiver est fini. Mais personne n’oubliera jamais le chaos et l’enfer qui ont dominé les confins continentaux de l’Europe durant tout l’hiver.


Dans son dernier ouvrage paru aux éditions Perrin, Michel Bernard, comme il l’avait fait pour la Campagne de France de 1814, raconte la retraite de Russie de l’hiver 1812, celle qui anéantit la quasi-totalité de la grande armée, suite à l’occupation et à l’incendie de Moscou. Et pourtant, durant des mois, Napoléon avait, comme à son habitude, préparé et étudié sans n’omettre un seul détail cette campagne qu’il n’avait jamais voulu entreprendre contre son ancien ami le tsar Alexandre :


Les lumières de Paris s’éteignaient quand sa lampe continuait d’étendre sa clarté et son ombre sur les cartes de Russie et de Pologne.

Mais rien ne s’est passé comme prévu. L’incendie de Moscou, si bien décrit dans Guerre et Paix de Tolstoï, surprit l’empereur par son ampleur autant que par l’idée même que l’armée russe ait pu sacrifier ainsi sa capitale et sa population sans l’ombre d’une pitié.


« Par la frénésie du travail, Napoléon luttait contre le désarroi, essayait de donner une forme à ce qui n’en avait plus. Il remplissait de commandements le vide autour de lui ».

Le désarroi et la surprise furent suivis par l'incompréhension et l'incapacité totales à affronter l’armée russe, dont le général en chef, Koutouzov, admirateur de l’empereur français, craignant son génie militaire, décida de fuir les combats et de pratiquer la politique de la terre brulée, obligeant l’armée française à emprunter le même itinéraire qu’à l’aller, mais aux villages fleuris et accueillants se sont substituées des terres de cendre et de pénurie :


« tout n’était que misère, crasse et pouillerie ».

La « clochardisation des troupes » fait peine à voir. Les corps s’entassent et disparaissent sous la neige. Le moral de l’armée est au plus bas. La discipline semblait être un lointain souvenir, et l’on se demandait même pour certains quel usage ils pourraient faire d’un fusil.


Et pourtant, le pire n’était pas encore arrivé. Le pire portait le nom d’une rivière « qui descendait du nord en hésitant à travers la plaine marécageuse ».


C’était la Bérézina.


Ce nom est celui d’une victoire militaire, mais surtout celui d’une déroute historique, d’un anéantissement quasi-entier de l’armée française, d’une condamnation à être attaché pour la vie à « un indicible cortège de honte et de remords », dépassant le « soulagement d’être vivant » et la « fierté d’avoir traversé l’épreuve dantesque ». Ceux qui ont survécu à la Bérézina ont longtemps erré tels des fantômes au milieu d’une population qui les regardait avec étonnement, admiration et malaise. La Bérézina est un cauchemar. A tel point que des généraux « préférèrent ne pas bouger, au prix de la captivité, plutôt que de subir à nouveau, tenaillés par la faim, l’univers inhumain du Grand Nord ».


Comme pour son précédent ouvrage, Michel Bernard fait de cette histoire un roman. Il décrit les événements en insistant sur leur aspect tragique et en élevant les sentiments des hommes au rang de légende. Il sanctuarise la figure du jeune soldat qui, de par le hasard des évènements historiques et des coalitions européennes, s’est retrouvé égaré dans les confins du continent européen, prisonnier du froid polaire et pris en tenaille entre la mort et l’agonie de ses camarades. Il en est même qui continuèrent de coucher par terre sous une couverture, ne pouvant trouver le sommeil sur un matelas, entre des draps.


L’ouvrage, bien que très agréable à lire, fluide, littérairement très intéressant et historiquement fondé (l’on remarquera l’importance des mémoires du Sergent Bourgogne pour l’écriture de cet ouvrage), laisse cependant un impact moins profond chez le lecteur que son précédant sur la campagne de 1814. Il manque sans doute un aspect dramaturgique qu’était parvenu à saisir Michel Bernard dans Hiver 1814, et qui se retrouve moins dans cet opus, peut-être un peu trop embourbé, tel l’armée française dans les plaines russes, dans certains détails militaires et stratégiques. Ils ont leur intérêt, mais ont tendance à atténuer la force tragique que souhaite insuffler l’auteur. Enfin, il est indéniable que la concurrence insoutenable de Guerre et paix rend l’exercice romanesque sur la retraite de 1812 particulièrement délicat.


Malgré cette très légère nuance, l’ouvrage de Michel Bernard n’en demeure pas moins un travail de grande qualité, passionnant à lire et très abordable pour ceux qui n’ont jamais lu d’ouvrage historique sur la période napoléonienne. Certaines positions très personnelles et fort subjectives (les rendant parfois discutables) de l’auteur rendent par ailleurs l’ouvrage dynamique à parcourir, et lui ajoutent de l’épaisseur. C’est un livre qui se situe entre l’ouvrage historique classique et le roman historique. A mi-chemin entre la science et la fiction. Le plus dur est alors de parvenir à maintenir une bonne distance entre les deux.

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