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  • Mémo'art d'Adrien

L'usage du thé, de Lucie Azema

Dernière mise à jour : 7 janv. 2023


Le thé est un phénix. Tel l’oiseau mythique, il accompagne l’humanité depuis l’éternité. Tel le phénix, il est intuitivement associé à la chaleur, au feu, au caractère bouillonnant des hommes. Il symbolise l’espèce humaine dans toute sa diversité, contenant toutes ses richesses culturelles, reflétant le pire et le meilleur de l’être humain, et survolant de sa fumée toutes les époques, toutes les régions du globe.



J'ai suivi le vol de ce phénix, de renaissance en renaissance, à travers le second livre de Lucie Azema, L’usage du thé (Éditions Flammarion), après son premier ouvrage très remarqué et remarquable, Les femmes aussi sont du voyage.



UN OBJET D'ART ARTISTIQUE ET LITTÉRAIRE



Le moins que l’on puisse en dire, c’est que cet Usage du thé est une vraie réussite. D’abord, il est rare que je m’attarde sur la forme d’un livre et sur le travail d’une éditrice, mais celui-ci mérite quelques mots. Le travail de Pauline Miel, éditrice chez Flammarion, est toujours d’une grande qualité. J’avais pu le constater à propos du très beau livre de Sophie Galabru, Le visage de nos colères, ou de celui d’Arthur Lochmann, Toucher le vertige. Pour ce second opus de Lucie Azema, l’éditrice a encore sorti le grand jeu : une couverture en tissu au vert émeraude très élégant, du papier d’une grande qualité, des photographies merveilleuses et enrichissantes, et enfin, des transitions entre chapitres aérées, colorées et reposantes. De quoi donner envie de s’intéresser au contenu du livre !



Et quel contenu ! Pour commencer, le lecteur en apprendra beaucoup sur l’histoire de l’usage du thé, de ses premières apparitions aux différentes techniques de fabrication et de préparation. On y apprend par exemple que, contrairement à une idée reçue, « ce ne sont pas les Anglais qui ont découvert le thé dans leurs colonies indiennes ». Au contraire, l’Angleterre « a imposé la production de cette boisson, destinée à l’exportation, par la force du bâton et des armes ».



HISTOIRES DE THÉ



A travers le thé, Lucie Azema présente ce qui constitue la richesse culturelle de très nombreux pays dans leur diversité, et notamment en Iran, pays dans lequel elle a beaucoup voyagé, et auquel elle semble très attachée. Le livre reflète l’idée selon laquelle le thé, bien que casanier, est le plus grand des voyageurs.


Les errances du thé ont « permis de tisser des liens entre les époques et les continents », la route du thé ayant « traversé des lieux dans lesquels elle a laissé des traces indélébiles ».

Puis, l’ouvrage montre à quel point le thé, de demeure en demeure, explore « les lieux immobiles et les chemins vagabonds », et s’est ainsi transformé au contact des pays traversés. Chaque escale est une renaissance pour le phénix des boissons. Ainsi, Lucie Azema écrit que « plusieurs siècles après sa naissance en Chine, le thé va voyager jusqu’à l’archipel nippon en empruntant les voies du bouddhisme », jusqu’à porter le nom de matcha, consommé dans un lieu dédié, la chambre du thé.



A titre d’exemple, le livre s’attarde quelques lignes sur le samovar, cet ustensile domestique utilisé pour faire bouillir l’eau du thé dans divers pays tels que la Russie, l’Iran, l’Azerbaïdjan ou l’Iran et qui permet de préparer du thé en avance et en grande quantité. En cela, il a « tout à voir avec l’hospitalité ». Il se démarque des cérémonies chinoises ou nippones :


« boire du thé n’est plus une fin en soi, c’est sa présence qui réconforte ».

UN VOYAGE LIT-THEIERE



Le livre de Lucie Azema dépasse le cadre du thé, de telle sorte qu’une personne n’ayant aucun goût pour cette boisson pourra malgré tout apprécier sa lecture. En effet, c’est aussi un livre d’histoire, de voyage, et de récit initiatique. Lorsqu’un voyageur se borne à décrire les pays qu’il traverse, cela m’ennuie. Mais lorsqu’un récit de voyage raconte aussi comment le protagoniste s’est transformé, enrichi et épanoui au fil des semaines de son voyage intérieur, cela me bouleverse. Et c’est le cas de cet Usage du thé, dans lequel son auteure se livre beaucoup, et décrit les origines de son affection pour le thé. Cette boisson lui a en effet appris à « démultiplier les existences » et à les mêler « à d’autres vies sans les confondre ».


Le style est par ailleurs très épuré, plein d’émotions et d’images entrainantes, ayant la légèreté d’une feuille de thé et la fluidité de l’eau qui coule :


« le thé a permis de creuser des chemins de traverse entre les peuples : il porte en lui une grammaire commune à l’humanité, mais dont les conjugaisons varient ».

Enfin, c’est aussi le livre engagé d’une femme qui ne ferme pas les yeux lorsqu’elle voyage, qui ne détourne pas le regard. Ainsi, elle insiste sur la dimension sociale du thé dans certains pays comme l’Inde, où la pratique du commune du thé constitua « un formidable levier de revendication ».



L'ÉLOGE DE LA DEMEURE



Le thé, comme l’écrit Lucie Azema, « épouse, pour le meilleur et pour le pire, les contours de chaque collectivité ». Il est un véritable marqueur social, devenant de plus en plus « la boisson du pauvre », dénigré pour cela, en même temps qu’il finit par être associé, contrairement à ses origines, à une « boisson de femme ». Le thé permet donc d’aborder des sujets de société importants, et notamment ce mépris de tout ce qui est casanier ou associé à la demeure.


Cet éloge de la demeure par une voyageuse n’est qu’un oxymore apparent, car il revêt au contraire une cohérence formidable lorsque se termine la lecture de l’Usage du thé.


Tout est contenu dans trois délicieuses pages dans lesquelles Lucie Azéma exprime de manière très sensible son rapport au fameux passage de la madeleine dans La Recherche de Marcel Proust. Ce lien invisible entre le matériel et l’immatériel, ce filament magique qui relie le corps et l’esprit, ramène la voyageuse aux saveurs de son enfance. Tout est dans cette détonation, que je vous laisserai le plaisir d’aller découvrir.


Je ne peux que vous recommander prestement la lecture de cet ouvrage, qui peut également constituer une excellente idée de cadeau pour ces fêtes de fin d’année. Amateurs d’histoire, de voyages, de littérature et d’intrication entre la petite et la grande histoire, ce livre est fait pour vous !



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