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  • Photo du rédacteurPierre Manenti

L’épopée de Jean des Bandes noires




C’est un petit livre historique, d’à peine 200 pages, et pourtant une somme colossale d’informations réunies sur un personnage entré dans la légende et source de fantasmes : Jean de Médicis, dit Jean des Bandes noires, un célèbre condottiere italien de la branche cadette des Médicis. Florence Alazard, professeure à l’université de Tours et spécialiste de la Renaissance italienne, en dresse le portrait avec minutie et précision, en rappelant son histoire, mais aussi sa postérité.

 

Avec force de documents d’archives, en particulier celles de Florence et Mantoue, elle nous fait remonter le temps pour nous parler d’abord de la mère de ce mercenaire, Catherine Sforza, l’une des plus célèbres femmes de la Renaissance italienne. Épouse de Jérôme Riario, neveu du pape Sixte IV, elle se fait en effet connaître en défendant le château Saint-Ange en 1471 mais surtout, après le meurtre de son mari en 1499, en défiant ses adversaires, qui détiennent ses enfants en otage, en montrant son sexe du haut des remparts du château, ceci pour leur signifier qu’elle est encore en capacité de procréer.

 

Finalement sauvée par son oncle, Ludovic Le More, duc de Milan, Catherine Sforza s’unit alors à Giacomo Feo, secrétaire de son précédent mari, lui aussi assassiné, puis à Jean de Médicis, dit Popolano, issu d’une branche cadette des Médicis. D’où le jeune Jean, héros de nos aventures, dont on apprend qu’il s’est d’abord appelé Ludovic. Lequel enfant, né en 1498, est très tôt soumis à l’infortune puisque César Borgia, le fils du pape Alexandre VI, s’empare du domaine familial d’Imola et de Forli en 1499, et place sa mère dans un cachot du château Saint-Ange.

 

Florence Alazard nous raconte en conséquence les premières années mouvementées de la vie du jeune Jean, séparé de sa mère et placé dans un couvent, quand il n’est pas la proie de son oncle, qui espère ainsi récupérer l’héritage familial. Elle montre aussi l’importance de ses tuteurs, Francesco Fortunati et Jacopo Salviati, dont il épouse plus tard une fille, Maria. En recourant à la fois aux lettres conservées mais aussi aux témoignages d’époque, ainsi les chroniques du Vénitien Marino Sanuto, elle fournit de nombreux détails sur la vie et le patrimoine de la famille au début du XVIème siècle.

 

Or Jean semble un personnage prompt aux excès, ainsi lorsqu’il assassine un jeune garçon en 1511, ce qui lui vaut l’exil de Florence pour plusieurs années. C’est Salviati qui lui sauve finalement la mise, lorsqu’il est nommé ambassadeur à Rome en 1513, plaidant pour que le jeune homme intègre la garde suisse pontificale de Léon X, lui-même issu de la famille Médicis et déterminé à consolider la place de sa famille dans la péninsule italienne. La réputation du jeune guerrier est rapidement acquise lorsqu’il tue un homme d’armes habitué de la guerre, Brancaccio, sur le pont Saint-Ange, alors qu’il n’a que 16 ans.

 

Au service du pape Léon X, Jean s’empare d’Urbino et Fermo en 1516, sa première victoire, créant ensuite une compagnie de mercenaires, qui loin de l’image d’une bande de fripouilles et de voyous est en fait une petite armée totalement dévouée à son chef et marquée par une discipline de fer. Jean se distingue alors en utilisant des chevaux petits et légers, ce qui fournit une certaine mobilité à ses bandes, mobilité propice aux embuscades et aux escarmouches, extrêmement fréquentes dans les guerres qui ravagent l’Italie.

 

Les années suivantes, on découvre tour à tour Jean, querelleur, à l’exemple du duel qu’il réclame à corps-et-cri avec Camillo Appiano d’Aragon en 1517, stratège, ainsi lorsqu’il défait les seigneurs rebelles des Marches en 1520, mais aussi changeant, s’engageant chez les Français en 1522, pour protester contre les mauvais traitements du nouveau pape, Adrien VI, puis repassant aux Impériaux, en 1523, parce que n’ayant pas été payé par les Français, avant de renouer avec François Ier en 1524, sans que les contemporains justifient pleinement son geste. Le personnage fascine, nourrissant des amitiés et des inimitiés d’une grande intensité, ainsi avec L’Arétin comme avec Frederico Gonzaga.

 

Grièvement blessé à la jambe par un tir d’arquebuse en février 1525, Jean subit une longue convalescence, dont Florence Alazard raconte qu’elle aussi l’origine d’une amitié sincère avec Abraham, le médecin juif du marquis de Mantoue.  Commandant des troupes papales de Clément VII en 1526, Jean est cependant de nouveau blessé, cette fois par un tir de fauconneau, à Governolo. Ses derniers jours, racontés dans le détail, contribuent à tisser la légende, ainsi lorsque le condottiere saisit sa jambe amputée et la montre fièrement en signe de menace à ses ennemis.

 

C’est aussi une des forces de ce livre d’étudier la légende politique de Jean des Bandes noires, modèle du capitaine de guerre, tantôt au service de l’empereur, tantôt au service du pape. Florence Alazard montre ainsi comment l’accession de son fils, Cosme, au duché de Toscane en 1537, nécessite de créer une légende familiale et nourrit, en conséquence, la production de plusieurs biographies plus ou moins aménagées. Elle démontre par ailleurs, contre toute l’historiographie, que Jean n’a pas fait teindre ses bannières en noir après la mort du pape Léon X, mais que cette iconographie est apparue beaucoup plus tard, très certainement pour des motifs politiques et religieux.

 

Et plus loin dans son livre, elle rappelle d’ailleurs que, du XVIIème au XXIème siècle, c’est toujours un peu la même histoire avec Jean de Médicis : celle d’un chef hors du commun, capable de rassembler les Italiens et de conduire une armée nationale contre les puissances étrangères qui ont ruiné la péninsule. Ce qui explique que le personnage ait fait l’objet de récupérations tant des Italiens du Risorgimento que des fascistes du XXème siècle, et il y a quelques années encore en étant érigé en héros d’un film, dont la critique le présentait comme rien de moins que le Bayard français.

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