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  • Mémo'art d'Adrien

Le pacte antisémite, de Marie Moutier-Bitan


Qu’est-ce qui pousse un homme, une femme à commettre des actes d’une violence indescriptible ? Pourquoi mentir pour sauver une femme juive, prenant le risque d’être tué par le soldat qui l’amène, et ne pas sauver l’autre femme, qui finira assassinée ? Comment se considérer membre de l’espèce humaine après avoir assassiné sauvagement son voisin paysan, sa femme, son fils, sa mère, son père et ses cousins ?

Dans son remarquable ouvrage, Le pacte antisémite, Marie Moutier-Bitan essaye de trouver une réponse à ces comportements humains « troubles et paradoxaux » qui marquèrent les pogroms, ces déferlements de violence perpétués contre les Juifs durant l’opération Barbarossa.


Du jour au lendemain, suite à l’invasion de l’Union soviétique par les troupes nazies en juin 1941, les Juifs furent pourchassés et assassinés lors d’exécutions sans aucune forme de procès. Dans l’Ouest de l’Ukraine, en Galicie orientale, les bourreaux furent, simultanément, des soldats de la Wehrmacht, des troupes créées ad hoc pour ces opérations, des nationalistes ukrainiens enfumés par des rêves d’indépendance, des milices locales, et, hélas, des paysans, des voisins..


L’ouvrage s’intéresse à cette région plus particulièrement, en essayant de comprendre pourquoi ce « permis de tuer » délivré par Hitler fut aussitôt et aussi violemment mis en application par les locaux. Il remonte ainsi aux décennies ayant précédé l’invasion, à la cohabitation délicate, et souvent violente, entre des nationalités, des religions et des populations différentes. L’historienne, dans ce style si littéraire qu’on lui connaît à présent (Les champs de la Shoah, Passés composés), fournit un tableau complet et très clair des différents corps de la société en Galicie orientale. Les mécanismes économiques et sociaux ont ainsi fait naître certains fantasmes, sources de ressentiments et de haines entre les populations. Il n’en fallait pas plus pour qu’émerge la figure fantasmée du juif devenu riche en profitant du labeur des autres, sans avoir à travailler.

C’est aussi un formidable ouvrage sur la responsabilité. Qui est responsable de ces meurtres ? Hitler ? Himmler ? Les hauts gradés de la Wehrmacht ? Les nationalistes ukrainiens ? La foule et son influence sur les comportements individuels ? Les juifs eux-mêmes ? Et si l’individu, dans ces mouvements de violence de proximité, était le seul responsable ? Tout a été écrit pour éviter d’avoir à affirmer que la population locale était également responsable de l’ampleur atroce de ces Pogroms. Et pourtant, dans la campagne lointaine, dans la nuit dissipant la foule, l’individu est seul, avec sa hache ou son couteau, le dignitaire nazi est absent, les soldats sommeillent. Seul demeure l’assassin, face à ses victimes. Aucune main invisible ne le force à trancher une tête ou à mutiler un innocent.


L’ouvrage de Marie Moutier-Bitan est remarquable. Il est glaçant, tant les mécanismes de la violence et de la barbarie sont expliqués, décrits avec minutie et apparaissent clairement au lecteur. Les exemples de traitements sauvages d’un homme envers un autre homme sont si nombreux que je me suis surpris à en minimiser certains. Alors, je reprenais la liste. Pour ne jamais oublier. Viol, mutilation, humiliation, rasage forcé de la barbe - symbole du juif et atteinte à sa dignité -, dégradation par la boue et par la bouse, assassinat à bout portant. Tous ces mots ont un sens. Un sens lourd. Terrible. Les aligner, parce qu’ils s’accumulaient, ne doit pas leur faire perdre leur force. C’est ce que parvient à faire Marie Moutier-Bitan dans son livre, enrichi d’une iconographie exceptionnelle et si douloureuse à parcourir…


L’histoire devrait toujours s’enseigner ainsi. Par l’authenticité d’une historienne que le lecteur suit à hauteur d’épaules, en parcourant ses recherches, en assistant à ses entretiens, en n’effaçant rien, en n’écartant aucun responsable. L’histoire est souvent faite de tragédie. Le rôle des historiens est d’expliquer les mécanismes de ces drames, pour que le lecteur comprenne qu’il n’y a hélas rien d’inhumain dans l’histoire. L’histoire enseigne autant qu’il n’alerte sur l’éternel retour de ces comportements humains, trop humain.

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