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Mémo'art d'Adrien

Le rêve de l'assimilation, de Raphaël Doan



A la fin de ses « Mémoires de Zeus », Maurice Druon écrit qu’ « en tout ce qui paraît nouveau, il convient de mesurer la part de l’oubli ». Cette citation, que je trouve aussi belle que pertinente, a raisonné en moi tout au long de ma lecture du « Rêve de l’assimilation » de Raphaël Doan. Comme le souligne le sous-titre, « De la Grèce Antique à nos jours », l’idée principale du livre est de montrer que l’assimilation n’est pas un concept et un projet propres au dernier siècle et à la France.


A travers six exemples sélectionnés parmi différents continents, le livre permet de retracer historiquement les apparitions et les différentes modalités d’applications de l’assimilation en fonction de l’époque et de la culture du peuple assimilateur. Surtout, cette approche comparée et historique permet de dépassionner les débats qui entourent généralement l’assimilation, le terme étant lui-même très souvent associé, entres autres excès, à du racisme, de la xénophobie, de l’exclusion. Or, comme le rappelle l’auteur, « l’assimilation est le propre d’une société ouverte » (p.11). L’auteur ajoute que, lié à l’universalisme, « l’assimilation s’oppose à l’essentialisme et au racisme ».


Pour les besoins de cet article, j’ai pu échanger avec Raphaël Doan. L’échange a duré près d’une heure et il fut passionnant. Ayant moi-même travaillé sur le sujet de l’assimilation, auquel j’avais consacré ma thèse de doctorat sous un angle juridique, j’ai ainsi pu exprimer à M. Doan toute mon admiration quant à la qualité de son travail au regard de toute la bibliographie que j’avais pu lire durant cinq années. La conversation téléphonique a surtout permis d’éclairer quelques passages du livre, de lui poser quelques questions complémentaires, et de confronter quelques-unes de mes interprétations avec sa vision. Je l’en remercie très vivement.


Ainsi, l’article ci-présent comprendra des citations issues de l’échange que nous avons eu. Pour des besoins de clarté et de compréhension, ses propos tirés de l’entretien seront en italique. Les citations en écriture normale sont quant à elle des extraits du livre.


L’article ci-dessous est une analyse non exhaustive du contenu de l’ouvrage qui est extrêmement riche d’informations et de détails passionnants. Ainsi, l’analyse se base sur mes propres choix et sur les éléments qu’il m’a paru le plus utile d’éclairer au vu de mon approche du livre. Au-lieu de revenir sur chaque exemple exposé dans le livre, l’article se proposera de sélectionner divers points importants qui édifient une grille d’analyse transversale de l’assimilation.


DÉFINIR L’ASSIMILATION


« Mal nommer les choses, c’est ajouter du malheur au monde », proclame la phrase souvent attribuée à Albert Camus.


Or, l’un des atouts majeurs de l’ouvrage de Raphaël Doan est d’apporter, à travers l’analyse de ses différentes applications dans l’histoire, une définition précise de l’assimilation. Derrière le regard froid et dénué d’axiologie de l’historien, l’auteur s’en tient en une présentation de ce qu’est l’assimilation, et de ce qu’elle n’est pas. Libre, ensuite, au lecteur et aux pouvoirs publics de se faire une opinion pour l’un, de choisir un modèle pour les autres : « l’analyse historique n’a pas à poser de jugements de valeur ; mais elle peut nous aider à réfléchir aux problèmes qu’affronte notre société » (p. 297).


Le tout est d’assumer ce choix. Car, comme le dit très souvent l’auteur dans les lignes de son livre, et notre échange téléphonique a confirmé cette impression partagée, l’assimilation a une très mauvaise image. Elle est jugée néfaste, empreinte de racisme, de xénophobie, ou de volonté d’afficher une supériorité culturelle voire raciale. Or, il n’en est rien. Et ces accusations sont, comme le suppose l’auteur dans son introduction, le produit d’une ignorance généralisée entourant l’assimilation. L’assimilation n’est ainsi plus assumée en tant que politique, parce qu’elle est méconnue ou mal connue. L’historien prend acte de cette crise en nommant sa conclusion : « faut-il réhabiliter l’assimilation ? ».


Ainsi, en définissant clairement l’assimilation, l’auteur dépassionne l’assimilation de façon heureuse. Sa définition est convaincante et je la partage : « on désignera par là, dans le cadre de ce livre, les pratiques culturelles, politiques et juridiques issues d’une volonté de changer les mœurs d’une population pour transformer des étrangers en semblables » (p. 15). L’assimilation implique un effort d’imitation de la part de l’étranger qui souhaite s’installer durablement dans le pays qui l’accueille. Lors de notre entretien, Raphaël Doan a eu une formule tout à fait juste : « l’assimilation exige que l’individu interprète sa culture de manière à ce qu’elle soit conciliable avec la culture d’accueil »

Pour préciser sa définition. l’auteur distingue l’assimilation de l’intégration (« donner une place à autrui dans la société sans lui faire adopter intégralement le mode de vie majoritaire ») et de l’acculturation (« phénomène spontané de transformation culturelle »).


RÊVER L’ASSIMILATION


Le lecteur pourrait se demander pourquoi avoir choisi ce titre du « rêve » de l’assimilation : « le terme de rêve illustre bien le caractère d’idéal que représente l’assimilation, explique l’auteur, surtout pour la France : une idée que nous avons toujours poursuivie, sans toujours la réaliser entièrement, mais qui a tout de même eu de véritables conséquences concrètes ».


Raphaël Doan revient dans son livre sur les raisons qui poussent un peuple à assimiler. Comme il le démontre, l’assimilation n’est pas naturellement le premier choix opéré par un Etat. Ainsi, les Grecs étaient réticents à assimiler. A Sparte, il existait même un refus catégorique de toute immigration, par peur d’une « assimilation à l’envers ». C’est à partir du projet d’empire d’Alexandre qu’un rêve assimilateur est entrepris : afin de transformer les peuples conquis et de leur inculquer la culture grecque. C’est parce qu’il y a confrontation de cultures différentes que l’assimilation devient envisageable. Mais c’est parce qu’il n’y a pas d’essentialisme et de déterminisme naturels que l’assimilation est possible.



La culture grecque, outil d'assimilation


C’est exactement la même logique qui a prévalu chez les Romains. Dans des pages brillantes et passionnantes consacrées à la « romanisation » des peuples conquis, Raphaël Doan explique que même en l’absence de doctrine complète, cohérente et explicite, « on remarque une volonté de changer la vie des peuples conquis » (p. 67). L’assimilation était à la fois contrainte et commune, « comme la découverte d’une humanité commune ».


De la même manière, pour les cas français, japonais et américains, mais aussi pour celui de l’Islam, c’est la conquête de nouveaux territoires qui a poussé à opter pour le modèle assimilationniste, à savoir la transformation culturelle de ce qui est transformable chez un individu. Ainsi, « la société des premiers temps de l’Empire islamique, fondée sur la hiérarchie ethnique et la ségrégation religieuse, était anti-assimilatrice » (p. 116).

Comme le conclut l’auteur, l’assimilation « est souvent une pratique impériale ». D’ailleurs, l’ouvrage revient sur les débats et les réticences internes à chaque pays sur la légitimité du choix de l’assimilation. Le lecteur peut ainsi découvrir que l’assimilation n’est jamais un choix évident ou naturel, mais qu’il est toujours justifié par une volonté d’homogénéisation de la société, et non d’exclusion d’une partie des individus. Là où l’exclusion domine, l’assimilation s’efface.


Un Etat choisit d’assimiler afin que ses membres soient le plus homogènes possibles en matière culturelle. D’où l’importance souvent réaffirmée des mœurs dans le projet d’assimilation. Il ne s’agit pas de contrôler les mœurs ou de les effacer, mais de les homogénéiser et de demander à ce que les nouveaux membres imitent les mœurs des membres déjà présents. Comme le souligne Robert Putnam, « diversité et solidarité sont négativement corrélées ». Selon M. Doan, cela signifie que « plus un groupe est hétérogène, moins il connaîtra de solidarités internes ».


D’ailleurs, concernant la France, comme l’a rappelé Raphaël Doan lors de notre entretien, « les premiers à avoir été assimilés furent les Français », grâce à l’effort d’homogénéisation de la monarchie, de l’ordonnance de Villers-Coterêts à la volonté de Louis XIV que tout devienne français. Ainsi, au XIXème siècle, la France n’est pas, contrairement à ses voisins européens, cette mosaïque de peuples et de langages différents, bien qu’il demeure de grandes différences entre les différentes régions. C’est ce qui amène Jules Michelet, l’historien poète, à écrire ces lignes sublimes dans le tome III de son Histoire de France :


« La fatalité des lieux a été vaincue, l’homme a échappé à la tyrannie des circonstances matérielles. Le Français du Nord a goûté le Midi, s’est animé à son soleil ; le Méridional a pris quelque chose de la ténacité, du sérieux, de la réflexion du Nord. La société, la liberté ont dompté la nature, l’histoire a effacé la géographie. Dans cette transformation merveilleuse, l’esprit a triomphé de la matière, le général du particulier, et l’idée du réel ».


OPERER L’ASSIMILATION


De manière très détaillée, Raphaël Doan dresse, à travers ses six exemples, une liste d’outils juridiques, politiques et culturels ayant permis d’assimiler à travers l’histoire.

Le premier de ces outils qui semble se dégager clairement est la langue. Dans les six exemples présentés dans l’ouvrage, le pays assimilateur a tenu à imposer l’usage de sa langue et à limiter les langues des individus assimilés. S’agissant du Japon, par exemple, la première mesure d’assimilation d’Okinawa fut d’installer partout l’usage du japonais (p 237) ». Dans tout l’empire romain, l’usage du latin était obligatoire. En 1794, l’Abbé Grégoire exprimait la nécessité d’une identité de langage (p. 183), etc.


En lisant ces développements sur la langue, je me suis demandé si l’assimilation était conciliable dans des Etats reconnaissant plusieurs langues où dans lesquels plusieurs langues sont parlés au quotidien. Lors de notre entretien, l’auteur a répondu à cette interrogation : « J’ai tendance à penser que c’est un outil efficace mais pas une partie indispensable de l’assimilation. On insiste beaucoup sur la langue en France car c’est un indicateur clair et facilement mesurable, contrairement aux mœurs. Il est tout à fait envisageable de s’assimiler dans un Etat plurilingue, notamment par le biais des autres facteurs d’assimilation ».


La langue de Molière, élément important de l'assimilation


Le deuxième outil est celui de la culture. Par exemple, « l’importance que les Grecs accordaient à l’humanisme, à la culture, à la langue plutôt qu’à l’ethnie représentaient un terreau fertile ». L’assimilation s’est à chaque fois développée de manière culturelle, refusant tout essentialisme naturel, et privilégiant l’universalisme. L’école est en ce sens un vecteur fondamental de transmission de la culture du pays, de son histoire, de ses mœurs, des différents éléments de la vie quotidienne. De la même manière, la pression sociale de la société participe de cette assimilation culturelle.


La religion fut par ailleurs un outil d’assimilation important, particulièrement s’agissant de l’Islam, dont la portée universelle « empêcha la civilisation arabe de se fondre intégralement dans ses différentes conquêtes et qui lui permit de s’imposer à l’échelle de l’empire » (p. 119). La portée historique de l’assimilation par l’Islam et la présence croissante d’individus musulmans en France m’a amené à m’interroger sur la conciliation possible entre deux modèles assimilateurs sur un même territoire envers les mêmes individus et sur l’existence d’exemples historiques antérieurs : « tout est une question de rapport démographique, estime l’auteur, pour imiter il faut se mélanger, il faut une mixité, des proportions. Il y eut en effet des précédents historiques, tel que le sort des communautés françaises en Amérique à la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle. On constate en effet une concurrence avec l’assimilation américaine, provoquant une politique sévère des américains pour désassimiler les Français, interdisant l’usage du Français par exemple ».


La construction des villes fut également un vecteur d’assimilation. La puissance assimilatrice exportait par exemple dans le pays conquis les modèles de villes identiques à ceux existant dans le pays d’origine. L’auteur donne sur cet outil quelques exemples qui donnent lieu à des passages passionnants. C’est un point qui m’a particulièrement intéressé.


D’autres outils spécifiques, que vous pourrez découvrir lors de la lecture de l’ouvrage, auraient pu être relevés, mais il m’a semblé nécessaire de terminer par un outil indispensable et majeur : la citoyenneté. L’auteur montre que l’assimilation est indispensable pour devenir citoyen et ainsi obtenir un statut égal aux autres habitants du territoire ou de l’empire. En France, on a parlé d’adéquation entre l’assimilation de fait et l’assimilation juridique.


Cette citoyenneté est liée à l’universalisme, impliquant l’abstraction du citoyen et l’effacement de ses particularismes. D’ailleurs, la « personne juridique » vient de « personae » signifiant « masque » en latin. Lors de notre entretien, Raphaël Doan ajouta que « la citoyenneté romaine est protectrice de la personne du Romain, mais le pouvoir politique du citoyen romain est moins important que celui du citoyen athénien ». C’est ce qui la différencie de la citoyenneté grecque par exemple, très exigeante, moins étendue. Il confirme d’ailleurs que la citoyenneté « à la française » est un subtil dosage de la citoyenneté politique athénienne et de la citoyenneté juridique romaine, dans la mesure où « elle se concentre autour des droits politiques et civils ».


La question qui peut se poser néanmoins est de savoir si cette abstraction ne peut pas conduire à un dévoiement du but de l’assimilation. La référence aux « valeurs de la République », et non plus aux « mœurs françaises » n’est-elle pas une acception poussée à son extrême de la citoyenneté abstractive à la française ? « L’universalisme de la citoyenneté française comporte en effet le risque d’aller trop loin et de devenir vide, juge l’historien. C’est le seul universalisme incarné, auquel tout le monde peut accéder. Mais le problème est que cela ne peut plus fonctionner si on le réduit à des valeurs trop vagues ».

Cependant, certains exemples du livre présentent quelques contradiction. Outre les Etats-Unis et l’exclusion des Noirs de l’assimilation, laissant supposer une fragilité évidente du système américain, la « Dôka japonaise », qui se définit comme « le fait de rendre semblables des choses originellement différentes », était contradictoire « car il y avait des pratiques largement discriminatoires ».


Or, comme le rappelle l’auteur, la réussite de l’assimilation suppose de ne pas réduire les assimilés à une situation d’infériorité. C’est ce que l’auteur nomme le théorème de Tocqueville, dégagé par Paul Veyne. Sur ce sujet, « il semble que l’Amérique fasse toujours face au paradoxe de Tocqueville : à mesure que le droit égalise la situation entre Noirs et Blancs, la perspective de leur rapprochement recule ». Raphaël Doan a précisé cette phrase lors de notre entretien : « C’est quelque chose que notait avec une lucidité incroyable Tocqueville dès le XIXe siècle : il y a en Amérique un substrat de pensée raciale qui rend difficile le rapprochement des noirs et des blancs, même lorsque les droits civiques sont devenus égaux ; et les sociologues ont observé que le mélange entre les deux communautés, notamment les mariages mixtes, restent très faibles encore aujourd’hui. A mes yeux, c’est une faille énorme du modèle américain ».


REPENSER L’ASSIMILATION


Ce qui m’a profondément intéressé dans l’ouvrage de Raphaël Doan, c’est qu’il démontre que l’assimilation a connu des résultats très irréguliers en fonction des exemples choisis. Ainsi, si l’assimilation par l’Islam fut globalement une réussite dans les pays conquis par cette religion, le même constat peut s’opérer concernant l’assimilation par les Grecs dans les pays conquis, grâce à sa culture, malgré quelques réticences, en Egypte par exemple.


Surtout, l’auteur parvient à montrer que malgré la fin de la domination politique et la chute des empires assimilateurs, l’assimilation culturelle avait malgré tout relativement réussi, ou en tout cas laissé des traces. Ainsi, bien que l’assimilation romaine était en crise dans les dernières années de l’empire, en raison d’un peu moins de rigueur, d’une citoyenneté étendue très largement, et par conséquent d’un attrait moins élevé de la nécessité de s’assimiler pour devenir citoyen, la culture romaine a malgré tout laissé des traces, en particulier s’agissant de la langue.


De même, l’auteur signale, concernant l’empire français en Algérie, que l’indépendance signifiait « l’échec complet de l’assimilation politique du pays à la France, mais pas celui de son assimilation culturelle » (p. 172). Un constat identique s’impose pour le Japon et la fin de sa domination politique à Taïwan, où la Dôka a « contribué à façonner l’identité taïwanaise contemporaine comme une originalité bien distincte de la Chine continentale » (p. 243). L’auteur explique cependant que l’échec fut complet en Corée et en expose les raisons profondes (pour aller plus loin sur ce sujet de l’occupation japonaise en Corée, voir le film Mademoiselle, de Park Chan-Wook).


Cette partie du livre est très plaisante à lire, car c’est un exemple étonnant a priori, au regard de la culture japonaise du repli sur soi. J’y ai appris de très nombreuses choses, et ai compris, grâce à ce chapitre, l’abandon de l’assimilation par le Japon depuis la fin de son Empire.


Enfin, l’auteur analyse l’évolution de l’assimilation dans la France contemporaine, et démontre que sa crise s’explique en partie parce que la France n’assume plus de vouloir assimiler. « Il y a en réalité un quasi consensus quant à la volonté d’assimiler », mais cela n’est pas assumé. Dès lors, « l’assimilation est aujourd’hui interprétée comme s’il s’agissait d’intégration » (p. 210). Par conséquent, « en pratique, l’administration actuelle vérifie, chez les candidats à la naturalisation, ce qu’on pourrait appeler une intégration renforcée plutôt qu’une véritable assimilation » (p. 218). Il ajoute que « c’est implicitement sous le paravent de la laïcité que la République a fourni, en dernier ressort, ses efforts d’assimilation les plus volontaristes » (p. 220). Or, selon l’auteur, cette hypocrisie fait passer la laïcité pour un instrument de « vexation des musulmans », alors que ce n’est pas le cas.


Dans un style vif et pertinent, Raphaël Doan estime que la loi sur le voile à l’école ou sur le voile intégral sont des mesures assimilatrices, et qu’il convient de les assumer comme telles. En évoquant la nécessité de respecter « les exigences minimales de la vie en société », la loi de 2010 aurait dû justifier ses mesures par le respect des « exigences minimales de la vie en France », car c’est de celles là dont il est question. Je partage en tous points cette analyse, une politique d’assimilation qui ne porte pas son nom et qui bannit le mot « mœurs » de son vocabulaire est vouée à l’échec. Comme le conclut l’auteur, la crise de l’assimilation est indubitablement liée à la crise de l’identité nationale.


Concernant cette crise de l’assimilation, nous avons abordé, lors de notre entretien, la problématique des enfants nés en France, issus de l’immigration, devenus Français à leur majorité, et qui ne paraissent pourtant pas assimilés, voire rejettent frontalement l’identité française. La question est de savoir comment les assimiler. Selon Raphaël Doan, « il ne faut plus passer exclusivement par les modèles classiques d’assimilation que sont l’école ou le travail mais c’est plutôt un contexte généralisé qui permettra l’harmonisation culturelle puis le rapprochement des individus ».


En outre, « on s’est extrait de la vision de l’assimilation qui passait uniquement par la naturalisation, ajoute l’auteur, pour favoriser également des éléments de la vie quotidienne afin d’assimiler. Le but est de toucher tout le monde. L’assimilation aurait tout intérêt, en raison du rapprochement juridique de l’étranger et du national, à s’étendre également aux étrangers, afin de concerner l’ensemble de la population qui vit en France ».


L’une des dérives, à mon sens, de la politique actuelle dite d’intégration est de trop juridiciser l’intégration, qui n’est ni mesurable ni palpable, par exemple en conditionnant le séjour de l’étranger à son intégration, ou en lui imposant un « contrat d’intégration républicaine ». Raphaël Doan partage cette inquiétude, « surtout lorsque ce sont des choses qui n’ont pas grand rapport avec le droit ».


A mon sens, l’un des obstacles à l’assimilation pourrait également être l’uniformisation du monde, déjà crainte par Stefan Zweig au début du siècle précédent, et en particulier son américanisation, qui importe en France une culture différente de la culture française (or, la culture a longtemps été un facteur essentiel d’assimilation en France) ainsi que des débats propres à la société américaine qui ont pour conséquence davantage de diviser les populations que de les rapprocher. Raphaël Doan concède que cette uniformisation puisse constituer un obstacle, mais il nuance mon analyse, jugeant qu’ « il y a de nombreux points communs entre la culture américaine et la culture française, ne serait-ce que parce qu’elles ont toutes deux une origine européenne, et par conséquent, l’américanisation de certains aspects de la France n’entrave pas si gravement le travail de conciliation nécessaire à l’assimilation».


RÉHABILITER L’ASSIMILATION ?

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Je reprends, pour cette conclusion, le titre choisi par l’auteur pour sa propre conclusion, car je le trouve très juste, d’une part, et parce que toute la conclusion est à lire et à relire. Elle est très bien écrite et elle éclaire le lecteur sur un concept trop longtemps assombri par les rapprochements historiques qui pouvaient être faits avec l’assimilation, et avec des pratiques inhumaines qui n’ont aucun rapport avec l’assimilation.


L’ouvrage est parvenu à me convaincre définitivement que « l’harmonisation culturelle est un réflexe universaliste et humaniste, et non ethnocentriste ». Et, même pour ceux qui ne sont pas convaincus de l’opportunité de l’assimilation, l’ouvrage contribuera à dépassionner les critiques parfois violentes qui sont émises à l’encontre de ce modèle, et il permettra, espérons-le, qu’un débat serein, sain et constructif soit organisé. A l’approche des prochaines échéances électorales, il est plus que jamais nécessaire que ce débat ait lieu, non seulement pour décider de l’attitude à exercer vis-à-vis des nouveaux arrivants, mais aussi, et surtout, pour s’entendre sur la volonté ou non d’homogénéiser, et donc de rassembler, la population résidant actuellement en France.

L’ouvrage permet également de poser les éléments d’un débat serein quant à la politique d’immigration. Comme il le montre concernant les débuts de l’empire français, « les situations démographiques limitaient l’éventail des politiques ouvertes aux puissances européennes » (p. 132). La situation démographique a donc forcément un impact sur le choix d’assimiler ou non. Les débats sur les deux politiques sont donc liés, il convient d’en prendre acte sereinement, afin de pouvoir mener les débats le plus efficacement possible.


Finalement, le sujet abordé par cet ouvrage apparaît crucial. En l’ayant traité aussi brillamment, je suis intimement convaincu que Raphaël Doan contribuera à ce que ce débat existe sainement. C’est une lecture que je vous conseille en tout cas prestement.




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