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  • Mémo'art d'Adrien

Les Dragons de Jérôme Colin



« Il n’a que quinze ans. Il ne sait pas encore que les courtes années de jeunesse sont une forme douloureuse mais aussi presque parfaite de grâce ».


En deux phrases, le narrateur parvient à capter l’attention du lecteur, à le foudroyer sur place, et l’avertit du choc qui va suivre.


Le narrateur, Jérôme, semble remplir toutes les cases du bonheur. Un métier d’animateur qui le comble. Une femme qui l’aime et dont il est éperdument amoureux.


Mais le couple traverse un moment de crise. Parce que Jérôme refuse d’avoir un enfant. Parce que ce serait encore pire si c’était une fille. Parce qu’une colère sommeille en lui depuis son enfance.


Pour préserver le présent, et décider de son avenir, Jérôme décide de réparer le passé. Et de se souvenir.


Il se souvient qu’à quinze ans, il était animé de cette colère sourde que la normalité essaie de faire taire. Les mots employés par le romancier pour décrire cet état sont prodigieux :


« j’angoissais dans le bus qui m’emmenait à l’école »


« je ne parvenais pas à rester assis en classe »


« je me couchais, pétrifié, avec la certitude de ne plus vouloir être un enfant


« Parce que j’étais inutile et insignifiant. Que j’étais déjà fatigué de vivre. Mais, par chance, terrifié de mourir »


Alors, furieux contre l’école, contre la société, contre ses parents, qu’il trouve dociles, soumis, et lâchement normaux, il enchaine les provocations, et atteint les sommets de la violence, jusqu’à menacer son père avec un couteau, valant d’être condamné à intégrer un centre de soins psychiatriques pour adolescents.


Là, il n’a qu’une envie : fuir. Fuir ces règles qui l’oppressent. Fuir ces autres adolescents pour qui il n’a que mépris. Il les juge. Parce qu’il ignore leurs terribles histoires : viols, violences intra-familiales, exclusion, tentative de suicide. Le roman décrit chaque cas dans un rythme haletant, à tel point que j’en eus le souffle coupé.


Par une série d’anaphores, débutant chaque nouvelle histoire par ces quelques mots, « je ne savais pas », suffisent à donner à cette scène une dimension littéraire incontestablement extraordinaire. J'en suis resté coi quelques longues secondes.


Le lecteur se remet à peine de ces pages qu’un coup de foudre apparait. Un véritable coup de foudre. Une jeune fille entre dans la salle commune, et change ainsi la vie du narrateur, qui écrira cette phrase, si sublime : « Cette fille n’était pas une fille, c’était un événement ».


De cet amour impossible, naissent, comme c’est souvent le cas, des passages sublimes où les deux tentent de se connaître, essaient de se comprendre, et de se faire confiance. Jérôme découvre que la jeune fille ne cesse de s’auto mutiler. On ne l’avait pas battue, pas violée, pas enfermée dans le placard. Elle était là parce qu’elle était incapable d’appartenir au monde.


Sans vous révéler la suite du récit, je peux vous dire que Jérôme va petit à petit comprendre qu’il a le droit d’être en colère, de l’exprimer, qu’il ne doit pas se taire mais expliquer, qu’il peut faire l’intéressant. L’individu doit s’affirmer, mais il n’est pas seul. D’autres sont comme lui. C’est ce que le roman nomme « les dragons », cet êtres qui, parce qu’ils ne sont pas seuls, affrontent les souffrances ensemble.


Même si « tout le monde a décidé qu’il était différent », le dragon est comme tout le monde. Il a des rêves. Des projets. Et les dragons ont le droit de rêver. Jérôme Colin souhaite que, contrairement à la phrase de John Steinbeck, les plans les mieux conçus des souris et des hommes puissent se réaliser.


C’est un roman parfaitement écrit, émouvant, bouleversant. C’est un cri contre la mentalité de l’époque, son acharnement à couper les ponts entre les individus, à promouvoir la performance. C’est un roman coup de point contre la société capitaliste qui n’a rien à proposer aux jeunes en quête de sens. L’auteur est déterminé à ce qu’on sache que de très nombreux adolescents souffrent, que cette souffrance n’est pas à minimiser, que ce n’est pas juste la « crise de l’adolescence ».


Je vous recommande très prestement ce roman, qui se lit rapidement, et qui provoque tant d’émotions ! il y a forcément un jour où la force d’aimer le faible sera une chose collectivement acceptée.


« En réalité, ce sont eux qui sont malades d’accepter de vivre. La vraie question dans ce monde n’est pas de savoir pourquoi je veux mourir. Mais pourquoi tout le monde veut vivre ».




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