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  • Mémo'art d'Adrien

Les envolés, d'Etienne Kern


« Du sol au sommet, trois cent douze mètres. Mille six cent soixante-cinq marches, sept mille trois

cents tonnes de métal, dix-huit mille pièces de fer ».


C’est dans ce gouffre, dans cet abîme, au cœur ce monde où tout un peuple vit, que Franz Reichelt décida de mettre en scène sa chute. De cette chute, Etienne Kern en fit un roman merveilleux, tourbillonnant, poétique et vertigineux.


En effet, le 4 février 1912, peu après l’aube, Franz Reichelt voulut essayer sa nouvelle invention, un parachute. En dépit de tous les avertissements, en dépit de tous les essais ratés, en dépit des êtres aimés qui le supplient d’abandonner ce projet, il sauta du premier étage de la Tour Eiffel. Il sauta. Et mourut, quelques instants après. C’est l’une des premières fois qu’une caméra capturait l’instant de la mort. La vidéo, disponible sur internet, est foudroyante. Elle a hanté les nuits d’Etienne Kern qui, pour équilibrer le chaos s’étant emparé de lui, a essayé de prêter une voix à Franz, d’imaginer ses sentiments, de lui construire un passé, avant ce présent dépossédé d’avenir.

Tailleur pour dames, Franz Reichelt « venait de Bohême, un vieux royaume qui mourait lentement au bord d’un vieil empire ». Le romancier en fait un être rêveur, lisant peu, parlant des nuages et des larmes, «de toutes ces choses de la terre et du ciel que ne savent que les enfants et les fous ». Il était écouté mais peu entendu.


C’était un être plein de rêves et de désillusions, un poète du quotidien, bouleversé de tristesse par l’arrivée de l’automne, capable de regarder ceux qui l’entouraient, sans les juger, comme si leur « seule présence était une joie ». Il est rêve, foi, désir et vertige à la fois. Tout au long du roman, Etienne Kern parvient à nous le rendre sympathique et mystérieux, courageux et poétique, fidèle et lâche. Comment comprendre cette fuite vers la mort alors qu’une route vers l’amour lui était tracée ? Par souvenir d’un ami brisé ? Par appât du gain financier octroyé à la meilleure invention ? Ou par amour du vertige, tout simplement ?


Lui qui regardait ses pieds « pour ne pas voir la vie simple et heureuse des passants », lui qui s’entraînait à voler comme l’on apprend à marcher, lui qui souriait pour ne pas montrer qu’il pleurait, semblait indisposé à la vie humaine. Entre le ciel et les enfers, il n’a jamais su trouver sa place. La seule alternative à cette existence, les pieds posés au sol, était, pour Franz, l’envol, puis la chute.


La vidéo dure quatre-vingt deux secondes. C’est la durée pendant laquelle Franz vécut, enfin. Cette quatre-vingt deuxième seconde, qui hante tant de gens, est la source du roman d’Etienne Kern, car elle fait remonter en lui de nombreux souvenirs, elle ouvre des cicatrices, elle l’empêche de vivre sans cauchemars depuis son enfance. Son livre n’est pas uniquement le récit d’une vie, il est, surtout, un message adressé à chacun d’entre nous : « les gens que nous aimons, nous ne pouvons rien pour eux ».


Chacun désire sauter mais a peur de tomber. Chacun peut voir dans cette vidéo le défilé de ses plus beaux rêves et de ses pires cauchemars. Chaque être humain est mortel, et cette quatre-vingt deuxième seconde est inéluctable.

La force du roman d’Etienne Kern est de parvenir à délivrer ce message puissant, ce mystère et cette page blanche que constitue la vie, à travers l’existence et la poésie d’un homme.

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