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Mémo'art d'Adrien

Les mémoires de la Méditerranée, de Fernand Braudel

Dernière mise à jour : 7 janv. 2023



Les Mémoires de la Méditerranée, c’est une superbe réédition d’un ouvrage de Fernand Braudel, paru aux éditions des Belles Lettres en cette année 2022.


L’ouvrage est le fruit d’un vieil amoureux de la Méditerranée qui en dévoile pour nous les balbutiements enrichis d’un savoir encyclopédique. Il est passionnant car, non spécialiste de l’époque, Braudel relève pourtant le défi de creuser les hécatombes des origines de cette mer si spéciale. Le récit d’une époque par un immense historien mais qui n’en est pas spécialiste, a presque quelque chose de touchant. Et la qualité n’en est pas moins présente !


De manière brillante, par exemple, l’historien de la Méditerranée évoque sa conception de la géographie : « La géographie, en l’occurrence, est un outil merveilleux d’explication, à condition de ne pas la charger d’un déterminisme élémentaire. Elle clarifie, elle pose les problèmes, elle ne les résout pas. L’homme et l’histoire suffisent déjà à tout compliquer, à tout brouiller ».


Dès lors, le travail de Fernand Braudel débouche sur un superbe entre-croisement de pyramides, de peintures de mégalithes, de temples grecs et de basiliques pour former l’image d’un passé qui ne s’effacera jamais. Il nous conte la mémoire d’une mer, distillée à travers l’histoire, ayant façonné l’humanité, ayant construit sa légende :


« L’historien conclura qu’aucune civilisation conquérante ne peut gagner dans des pays de très vieille organisation culturelle. Des « parois » imperméables gênent les acculturations. L’avenir des civilisations ne s’ouvre que du côté des peuples primitifs. C’est pour signaler ce problème de longue durée que ce chapitre s’intitule prétentieusement : l’erreur d’Alexandre. Si l’hellénisme s’était porté, avec sa vigueur et sa masse du moment, vers l’Occident et ses terres relativement neuves, n’aurait-il pas saisi, pour lui, le destin entier de Rome ? ».


Les Mémoires de la Méditerranée, c’est l’histoire d’un personnage central, qui n’est ni mésopotamien, ni égyptien, ni grec, ni romain, ni phénicien, ni encore étrusque, mais bien la Méditerranée elle même , son identité, sa culture, ses traces :


« Rome victorieuse, la Méditerranée continue d’être elle-même. Diverse selon les lieux et les âges, elle reste de toutes les couleurs imaginables, car rien, en cette mer d’antique richesse, ne s’efface sans laisser de trace ou sans revenir, un jour ou l’autre, à la surface. Mais en même temps le Mare Nostrum, dans la mesure où des siècles paisibles y multiplient les échanges, tend vers une certaine unité de couleur et de vie. Cette civilisation en train de se construire est le grand personnage à distinguer entre tous les autres » (p. 332).


C’est un formidable voyage à travers le temps et les terres entourant cette mer. Les spécialistes de chaque époque y trouveront certainement des confirmations davantage que des découvertes, mais ce fut pour ma part une joyeuse lecture !


Plus qu’une histoire d’une mer, l’ouvrage paru aux très belles éditions des Belles Lettres (avec de merveilleuses iconographies) s’attarde sur l’histoire de l’humanité, sur ce qui la distingue des autres espèces, et en particulier la conscience de sa non-survie et de sa finitude : « pour la première fois, l’humanité pratique l’inhumation des morts, ce qui implique des rites, une capacité de réflexion sur l’au-delà et la survie, une prise de conscience qui, pour beaucoup de préhistoriens, est la vraie naissance de l’homme » (p. 49).


En outre, au-delà de son intérêt scientifique, historique (je ne peux que vous conseiller, en tant que passionné d’histoire, de lire la page 206, qui recèle des propos d’une pertinence rare sur la position qu’a à tenir l’historien) et géographique, l’ouvrage revêt un véritable atout esthétique. Fernand Braudel est un historien maniant une plume élégante : « donc le monde n’a pas cessé de tourner et, assez logiquement, durant ces siècles sans histoire apparente, de nouvelles formes, une nouvelle carte du monde se dessinent. Et, quand au VIIIe siècle tout émerge, quand la vie des hommes redevient plus aisée et, à nos yeux, plus claire, le monde est sans commune mesure avec celui de jadis, celui qui s’était brisé à l’époque des Peuples de la Mer ».


Fernand Braudel est par ailleurs un historien qui ne s’en tient pas à une description plate et dénuée de relief des événements de l’histoire. Il ose s’affranchir de certaines chaînes, il ose penser, et affirmer des convictions profondes sur le sens de l’histoire. Ainsi, selon lui, « toute civilisation tendue ne peut vivre que par un ravitaillement continu en hommes. Ces déterminismes biologiques ont joué pour la Mésopotamie, pour l’Égypte, comme pour Rome ; ils donnent un sens profond aux vacarmes des invasions » (p. 198).


Ou, encore : « le drame des cités grecques, c’est un peu celui des villes de la Renaissance italienne. Aucune n’a su, n’a pu faire l’unité de l’Italie. Athènes, en 404 ; ouvre ses portes à Lysandre. Mais ni la victoire de l’anachronique Sparte, ni la Thèbes éphémère d’Epaminondas ne sauront, elles non plus, construire une unité grecque. Le terme d’un tel processus, c’est l’arrivée du Barbare, du Macédonien. Tout l’a préparée de fort loin » (p. 277).


Un formidable voyage à travers le temps et l’espace, un ouvrage moins connu mais non moins passionnant d’un immense historien, une plume engagée et virevoltante, un cortège de réflexions profondes et pertinentes mêlées à des explications détaillées et passionnantes : voici en quelques lignes l’excipit des sentiments que j’eus en lisant Les mémoires de la Méditerranée, de Fernand Braudel.

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