« L’insurrection a gagné, la révolte a été récupérée, la révolution est finie. Les dernières barricades se démantèlent d’elles-mêmes, le peuple arrête les combats qu’il a menés durant trois jours et dont le souvenir va demeurer comme l’acte fondateur, et régulièrement à recommencer, des révoltes populaires du XIXème siècle : de juin 1832, de février et de juin 1848, de décembre 1851, de mars 1871 ; elles-mêmes projetant leur ombre, tutélaire ou maléfique, sur les mouvements insurrectionnels du siècle suivant ». Par ces mots sublimes et intenses, Daniel de Montplaisir, dans son dernier ouvrage, Les Trois Glorieuses, paru aux éditions Perrin, restitue tout l’esprit de cette révolution de juillet qui suscita tant d’espoirs et provoqua tant de désespoirs.
Jules Michelet parlait « d’éclair de juillet ». Un éclair qui mêle tant des hommes pour qui « la fatalité est sœur jumelle du devoir » que des individus dont l’ascension fulgurante et inhérente à l’époque représente « l’un des meilleurs – peut être le meilleur – modèle du self-made man de l’histoire de France ». Ce « galimatias » d’individus aux intérêts divergents, aux origines multiples et aux milieux hétérogènes provoqua l’un des évènements les plus foudroyants et caractéristiques de ce XIXème siècle si instable, si épique et si renversant. En effet, dans ses Trois Glorieuses, Daniel de Montplaisir explique que « la révolution de 1830 résulte d’un long cheminement qui plonge ses racines dans la Grande Révolution et ses suites, déploie son tronc avec les restaurations de 1814 et de 1815, ses branches avec l’avènement de Charles X, enfin son feuillage avec le ministère Polignac ».
Le sous-titre de l’ouvrage ci-analysé s’intitule : La révolution de 1830 démystifiée. Pourquoi ce besoin d’être démystifiée ? Quels sont les mythes, sombres ou éclairants, qui entouraient cette révolution, petite sœur de La révolution de 1789 ? C’est à cette question que Daniel de Montplaisir a travaillé à apporter ses réponses.
« UN REGNE PROMETTEUR, UN HERITAGE DELICAT
En premier lieu, l’historien tend à démontrer que la révolution nait de « l’observation d’un règne prometteur, néanmoins chargé d’un héritage délicat ». En effet, « à la mort de Louis XVIII, survenue le 16 septembre 1824, la monarchie constitutionnelle semblait fermement installée ; la Charte, en dépit de quelques tâtonnements, avait parfaitement joué son rôle d’équilibre et l’ensemble de la classe politique l’avait faite sienne, la nation aussi ».
A ce contexte favorable, Charles X ajoute des décisions libérales et attendues. Il décide par exemple d’abolir la censure de la presse, en vigueur à la fin du règne de son frère ainé. Ce qui provoqua la fameuse sentence de Chateaubriand, rarement avare de belles lettres : « l’honneur nous rend la liberté ! ».
Mais le contexte favorable des premières semaines est rapidement ombragé par un héritage lourd, un équilibre difficile à maintenir entre un milieu républicain de plus en plus influent, un poids de plus en plus grandissant du clergé sur le gouvernement, et des ultraroyalistes, « plus royalistes que le roi », déçus par l’espoir qu’ils avaient placé en l’arrivée de Charles X.
Ce funambulisme politique est symbolisé par le temps du Sacre, auquel l’auteur consacre d’excellentes pages, saisissant parfaitement l’enjeu de cet instant, et la tenaille dans laquelle le roi était enfermé. Les ultraroyalistes lui reprochèrent en effet d’avoir juré la Charte lors du Sacre, tandis que les autres ne lui pardonnèrent pas de s’être abaissé devant l’Église.
Tel que le décrit le livre, le roi était dans une voie sans issue : il apparaissait impossible de satisfaire à la fois les « républicains », révoltés par la politique jugée liberticide de la fin du règne de Louis XVIII, et les ultra-royalistes, mécontents d’une politique qu’ils jugeaient au contraire trop libérale.
Enfin, pour en conclure sur le contexte du règne de Charles X, l’historien présente une période marquée par un anticléricalisme soutenu : « après avoir lu Montlosier, on réédite et on relit Voltaire et Helvétius, on insulte des prêtres à la sortie des églises, des collégiens sont renvoyés par centaines pour avoir blasphémé lors des prières obligatoires ou refusé de se confesser ». Durant ce début de règne, « l’équilibre entre pouvoir religieux et pouvoir civil s’est rompu au profit du premier avec la complicité du second et menace dès lors de ruiner ce dernier ». Il consacre également des pages passionnantes à la démonstration du rôle des sociétés secrètes comme la charbonnerie et la franc-maçonnerie.
« LA REVOLUTION EST UNE DESESPERANCE SUBLIMEE »
L’un des atouts de l’ouvrage de Daniel de Montplaisir est de décrire, progressivement, à travers la succession des gouvernements de Charles X, de Villèle à Polignac, les raisons qui ont justifié l’adoption des fameuses ordonnances de l’été 1830. Déjà, en 1826, Villèle avait souhaité s’attaquer à la liberté de la presse, afin de lutter contre le désordre public qu’induit la poussée de l’anticléricalisme.
La montée des tensions avec la Chambre des députés et la dénonciation par celle-ci du gouvernement Polignac vont conduire le roi à dissoudre cette chambre. La nouvelle victoire des libéraux ne résout pas le roi à se séparer de son ministère et le convainc au contraire de prendre une série d’ordonnances dont la finalité est de maintenir l’ordre et de faire exécuter la politique du gouvernement qu’il soutient.
Ce qui m’a particulièrement plu, sans juger du fond du message, est que l’ouvrage s’inscrit en contre-point de ce que nous avons coutume d’entendre et de lire à ce sujet. Il est généralement admis d’accorder une importance considérable à ces ordonnances, jugées odieuses et insupportables, conduisant la ville de Paris à la révolte. Or, ce que tend à démontrer l’auteur, qui s’appuie en cela sur Alexandre Mazas, c’est qu’il faut se garder « de croire que les ordonnances du 25 juillet firent à elles seules la révolution de 1830 ; elle était faite depuis longtemps dans toutes les têtes ». Par ailleurs, il insiste sur la responsabilité de la Chambre des députés dans la crise d’avec le gouvernement : « Ainsi cette tentative de coup d’État dont la presse libérale n’avait cessé de soupçonner le gouvernement depuis sept mois se trouve finalement par la Chambre des députés ».
Les développements consacrés à la révolution et aux affrontements de rue sont particulièrement bien écrits et intéressants. J’ai par exemple apprécié l’importance qu’il accorde à la désertion royaliste qui semble abandonner Paris à la révolution. Un autre intérêt de ce passage réside dans l’explication de l’origine du terme « barricades » et des manifestations de ce type de défense civile contre des soldats dans l’histoire. Certaines expressions sont particulièrement édifiantes : « On sent un certain désespoir chez ces gens, le plus souvent peu fortunés, qui sacrifient des objets utiles à leur foyer. La révolution est une désespérance sublimée ».
Je ne saurais que trop vous conseiller de lire cet ouvrage. C’est un essai historique précis, complet, intéressant et démonstratif. Il n’est pas plat mais plein de reliefs, comme le furent les trois jours de cette courte révolution. L’auteur, cela se ressent tout au long du récit, tente de convaincre le lecteur que le régime de la restauration avait d’immenses qualités, et que la Révolution de 1830 n’était pas indispensable ni uniforme. Au contraire, selon l’auteur, il semblerait qu’elle fut confisquée et détournée de l’intention de ses acteurs.
Je trouve ce paragraphe si éblouissant et si évocateur de ce que l’historien démontre dans son ouvrage, que je prends parti de vous le citer en entier :
« N’en déplaise à la mémoire de Georges Clémenceau, une révolution n’est jamais d’un bloc, elle amalgame une extrême disparité de souffrances, de frustrations, d’espérances déçues ou à reconstruire, de peurs instinctives ou plus réfléchies, de sentiments et de souvenirs d’injustice, de colères, de peines à contempler la misère voisine quand ce n’est pas la sienne propre ou celle de parents et d’enfants, mais aussi d’ivresses à échapper à la monotonie de l’existence, au chiche gagne-pain, à la grisaille quotidienne tout à coup balayée par un cinglant soleil, un de ceux qui suivent l’orage » (p. 215).
LE ROI EST PARTI, VIVE LE ROI
Non sans émotion, l’ouvrage fait le récit de la fuite, digne et pleine de fierté, du roi Charles X, ayant abdiqué pour son fils, qui ne règnera jamais, convaincu que son cousin servira ses intérêts. Charles X est présenté comme ayant quitté le pouvoir pour éviter que la Révolution ne sombre dans l’horreur et dans le sang. La chose mériterait d’être discutée, mais la démonstration de l’auteur est cohérente, néanmoins.
Le portrait de Charles X est plutôt flatteur, bien que la citation de Lamartine laisse supposer que l’habit était sûrement trop grand pour lui : « La profondeur et la solidité manquaient seules à ce visage ; en le regardant, on se sentait attiré par l’homme, on doutait du roi ». Toutefois, l’ouvrage écrit que « Charles X est loin d’être aussi ennemi des libertés publiques qu’on l’a dit : il a fourni la preuve contraire au début de son règne et n’a changé de cap que lorsque l’ont effrayé les abus commis au nom de ces libertés ». C’est donc une image positive de ce monarque qu’essaie de renvoyer l’historien. Pour déconstruire ce mythe, selon lui, d’un Charles X liberticide et méprisant.
Le portrait est beaucoup plus sévère pour Villèle ou encore, et c’est plus surprenant, pour Napoléon, envers qui les propos et les critiques sont parfois disproportionnellement injustes. Louis Philippe, quant à lui, est décrit comme un homme calculateur, insincère, cynique et infidèle : « comme souvent en politique, ce qui compte n’est pas de dire des choses vraies mais de dire des choses invérifiables, du moins dans l’immédiat, afin d’emporter une décision ». La force de cette phrase est inversement proportionnée à l’estime que l’auteur semble avoir à l’égard du dernier roi des Français. De même, il démontre le double jeu mené par Louis Philippe : « son cousin s’est seulement couvert des deux côtés : en cas d’échec de la révolution, il pourrait exciper de sa fidélité au toi, en cas de réussite, se conforter en homme du recours imposé par les circonstances ».
En conclusion, l’ouvrage de Daniel de Montplaisir est un ouvrage historique intéressant, instructif et engagé. En somme, il parvient à démontrer que l’échec de la monarchie de juillet était en germes avant même que le roi Louis Philippe ne monte sur le trône. Car, selon l’historien, le changement de régime n’était ni souhaitable ni indispensable, et le nouveau roi n’était ni souhaité ni incontestable. Mais, comme le dit l’auteur, « quand une révolution touche à son dénouement, qui se soucie des intérêts de ceux qui l’ont faite ? »
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