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Mémo'art d'Adrien

Les éphémères sont éternels, de Azelma Sigaux



La mort. Quatre lettres anodines formant l’un des mots les plus effrayants de la langue française. La mort fait peur. Elle occupe nos esprits. C’est même ce qui distingue l’être humain des autres être vivants. Il a conscience qu’il va mourir. Il n’est alors pas surprenant que c’est le sujet majeur de l’histoire de l’humanité : philosophie et religions ont pensé le rapport à la mort depuis des millénaires. La littérature et le cinéma ont, de leur côté, imaginé un monde sans mort, un prolongement sans finitude de la vie. Que serait l’être humain dépourvu de la crainte de mourir ? Comment l’humanité muterait-elle face à l’assurance d’une vie infinie ? C’est l’objet du roman de Azelma Sigaux, Les éphémères sont éternels.


Dans son roman, l’auteure imagine un monde ayant découvert, grâce à un poisson vieux de plus de mille ans retrouvé par un pêcheur japonais, le secret de l’immortalité. Ainsi, pour optimiser cette découverte, il est décidé d’imposer tout être humain d’absorber la nouvelle substance, le Bogolux, à l’âge de 23 ans, âge réputé le plus productif et, pour limiter la surpopulation, il est interdit d’avoir de nouveaux enfants, ni de prendre cette substance au-delà de 23 ans. Dans la lignée des grands romans dystopiques de la littérature, le livre présente au lecteur un monde idéal, mais idéal pour qui ?


En effet, grâce au Bogolux, « jamais ils ne connaîtraient les bombardements ni les cancers, et encore moins les problèmes de vieillesse. La mort ne générait plus la peur, mais la curiosité » (page 28). A tel point qu’en 2100, « tant de temps était passé depuis la création du Bogolux que l’on ne se souvenait plus vraiment de la mort ». Les êtres humains sont devenus des êtres quasi robotisés, ne songeant qu’à travailler, le faisant le plus efficacement possible, avec peu de repos et presque plus de loisir. La question mérite d’être reposée : un monde idéal, mais pour qui ?


Comme le dit la romancière, « étrangement, plus ils vivaient longtemps, et moins ils semblaient vivants » (page 31). Depuis la découverte de l’immortalité, toute idée de progrès a disparu. L’art a quasiment disparu. L’être humain, en perdant sa mortalité, a perdu cet ubris qui lui faisait repousser ses limites, une sorte d’énergie vitale perdue avec la vie infinie : « Les humains immortels, bien trop ramollis par leur substance psychoactive, avaient mis en pause tous leurs projets, du plus simple au plus élaboré » (page 168).


Le monde tel que décrit dans ce roman est effrayant ! Une humanité asservie, focalisée essentiellement sur le travail, déprimée, dégoûtée par la vie, démunie de rêves. Pis encore, c’est un asservissement sans violence (ou presque). L’obligation d’injecter une dose de Bogolux tous les trois ans n’a pas besoin de la contrainte de la force publique pour être respectée : le Bogolux, en effet, « rend accro. Personne ne se sent donc contraint de recevoir une nouvelle injection trois ans après la première. Au contraire ! Nombreux sont les gens qui campent devant le laboratoire tant ils attendent leur dose avec impatience » (page 70). L’ouvrage date de 2019, et pourtant, il semble préfigurer, deux ans à l’avance, certains débats et enjeux de l’année 2021 concernant le vaccin du Coronavirus.


Face à une humanité déshumanisée, la romancière met en scène des individus nés et élevés en clandestinité malgré l’interdiction d’avoir des enfants. Le roman suit tout particulièrement un certain nombre d’entre eux, réunis sous terre, et ayant développé des capacités extrasensorielles. Ils sont mortels et pourtant plus vivants que jamais. Ils ont conservé la fougue de la vie, la passion de l’être mortel conscient que la vie n’est pas un jeu et qu’elle peut disparaître à tout moment. C’est cela qui les rend éternels et humains. Ensemble, ils vont essayer d’éveiller les consciences, de réveiller les immortels devenus apathiques (faisant penser à l’un des romans du cycle des robots de Isaac Asimov), et de mettre fin au règne du Bogolux : « On ne peut pas entreprendre de grandes choses sans enfreindre la loi. On ne peut pas jouer au rebelle en restant moralement irréprochable » (page 62).


Dans l’ensemble, j’ai beaucoup aimé le roman de Azelma Sigaux. Je le trouve cohérent, passionnant, fluide et bien écrit. Il parvient à mêler l’originalité de l’intrigue, l’attachement à des personnages, et la puissance du message délivré. Le risque du roman dystopique est que le message peut faire de l’ombre à l’intrigue. C’est par exemple le défaut de 1984, selon moi. Cela n’est pas le cas avec Les éphémères sont éternels, les personnages ont du relief, l’intrigue est vraiment bien structurée, et on se plaît à vouloir connaître le dénouement de l’histoire, jusqu’au bout. Je vous conseille vraiment de lire ce roman. Il pousse à la réflexion et fait passer au lecteur un agréable moment. De surcroît, s’y mêle une dimension extrasensorielle proche de la magie. Cet élément, qui fonde l’originalité du roman, est très bien intégré au roman, et se justifie pleinement du fait de la particularité de ces êtres mortels.


Sans que cela ne vienne ombrager l’excellente impression générale que j’ai du roman, j’aurais néanmoins un reproche et un regret à exprimer. Un reproche, pour commencer, celui de diviser l’humanité entre les « Grands » qui profiteraient seuls de la situation et les « petits » qui seraient les victimes de ce nouveau système. Ne peut-on pas reprocher également à la masse d’avoir accepté, sans révolte ni contestation, qu’on lui impose ce nouveau mode de fonctionnement du monde ? L’humanité n’était-elle pas apathique avant l’injection du Bogolux ? Par ailleurs, le passage décrivant la capacité des puissants à sauver la planète en quelques semaines m’a quelque peu surpris et a contribué à cette vision un peu manichéenne. Mais ce sont davantage des désaccords de fond que des reproches en tant que tels à faire au roman.


Le regret, enfin, est l’absence totale de dimension religieuse du roman. Comment les religions ont-elles réagi à la découverte de l’immortalité ? Ont-elles disparu ? Ont-elles été remplacées par une autre forme de religion ? Au vu de la qualité de l’imaginaire et du récit proposée par ce roman, je regrette vraiment que cette dimension n’ait pas été abordée.


Il n’en demeure pas moins que le roman de Azelma Sigaux est un excellent titre dystopique, qu’il mérite d’être lu, et qu’il propose un ensemble de réflexions ouvertes très intéressantes pour le lecteur.

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