Dans cet article vous trouverez les résumés suivis de mes avis de toutes mes lectures entreprises pour cette rentrée littéraire 2022, dont je ne pourrai lire qu'une infime partie parmi les quelques 500 romans parus entre août et octobre !
LE CHÂTEAU DES TROMPE-L’ŒIL, DE CHRISTOPHE BIGOT (La Martinière)
Résumé : 1837, baie du Mont Saint-Michel. Le jeune Baptiste Rivière est convoqué au château d’Escreuil pour s’y faire dicter les dernières volontés de la propriétaire des lieux. Mais à son arrivée, le personnel se ligue pour lui interdire l’accès à sa chambre : Langlois, diabolique intendant du domaine, le vieux Simon, qui semble plus qu’un ordinaire jardinier, et même Séverine, la femme de chambre dont Baptiste cherche pourtant à se faire une alliée.
Pourquoi la baronne d’Escreuil se cache-t-elle ? Qui est vraiment cette ancienne comédienne, veuve d’un aristocrate guillotiné sous la Terreur ? Bravant les mises en garde, Baptiste s’aventure dans les plus sombres recoins du domaine. Mais les apparences sont trompeuses, et en cherchant la baronne, c’est sa propre vérité que Baptiste va devoir affronter.
Mon avis : L’œil est sans cesse trompé dans ce roman de Christophe Bigot, paru aux éditions de La Martinière. Plus les pages défilent, plus le lecteur en découvre davantage sur les personnages du livre. On s'attend, dans les premières pages, à lire une histoire gothique classique, pleine de mystères autour d'une baronne qui demeure insaisissable et qui ne s'affiche jamais au narrateur. Le château, au coeur de la baie du Mont Saint-Michel que l'on suppose venteux et ténébreux, offre en cela un décor idéal.
Mais la suite du roman retourne le lecteur et lui propose un genre tout à fait différent. Oscillant entre le roman historique et le roman d'apprentissage psychologique, entre un huit-clos angoissant et oppressant et un polar dans lequel le protagoniste ne peut faire confiance à aucun membre du village, Christophe Bigot joue très intelligemment sur les codes de tous ces genres pour nous offrir un récit cohérent, passionnant et, jusqu'aux dernières pages, renversant. La fin est tout simplement incroyable ! Parvenir à intégrer tous ces éléments, tout en n'omettant pas de développer des personnages hauts en relief et dont la personnalité évolue au cours du roman, fait de ce livre un excellent objet de cette rentrée littéraire.
Comme vous le savez, je suis très attaché au style d'un roman, à l'émotion qu'il me transmet, à ce qu'il raconte, et à la présence de personnages qui ont du relief. Ces quatre éléments sont réunis dans Le château des trompe-l'oeil. Au travers de l'histoire d'une famille durant la révolution et des années qui la suivirent, le romancier délivre un formidable récit initiatique, avec un style éclairant et fin, dont la portée, le message et les rebondissements s'adressent à chacun de nous, qui refusons, souvent, de voir le visible, et de scruter l'invisible.
STÖLD, DE ANN-HELEN LAESTADIUS (Robert Laffont)
Résumé : C’est l’hiver au nord du cercle polaire arctique. Elsa, neuf ans, est la fille d’éleveurs de rennes samis. Un jour, alors qu’elle se rend seule à skis à l’enclos, elle est témoin du meurtre brutal de son faon, Nástegallu. Elle reconnaît le criminel : Robert, un Suédois du village voisin qui harcèle sa famille et sa communauté depuis des années. Mais celui-ci la menace de mort et la petite fille, terrorisée, garde le silence.
Dix ans ont passé. Face à l’indifférence des autorités et de la police, la haine et les menaces à l’encontre du peuple sami n’ont cessé de s’intensifier. Et lorsque Elsa se retrouve à son tour prise pour cible, quelque chose en elle se brise : le poids du secret, le traumatisme et la peur qu’elle porte depuis son enfance refont surface, libérant une rage nouvelle, celle de vaincre et de vivre.
Stöld retrace la lutte d’une jeune femme pour défendre son héritage et sa place dans une société où la xénophobie fait loi, et dans laquelle les idées modernes se heurtent à une culture façonnée par les traditions et la peur.
Mon avis : Ce matin-là, Elsa compris qu'elle ne pourrait plus jamais caresser son faon préféré, Nástegallu, sauvagement assassiné la veille par un Suédois du village voisin. Elle comprit que le temps de l'enfance et de l'insouciance était révolu. Que c'était l'heure des choix. Et de les assumer.
La force d'un chef d’œuvre de littérature est de rendre universelle une histoire particulière. C'est ce qui fait que Hugo, Dostoïevski, Borges, Roth ou Shikibu sont lus partout dans le monde. Sans oser la comparaison avec ces géants de la littérature, le roman d'Ann-Hélen Laestadius est un grand roman, parce qu'il aborde, à travers cette histoire touchante et révoltante d'un peuple du nord de la Suède, les Samis, discriminés, humiliés par les Suédois des villages voisins, dans l'indifférence des autorités locales, des thématiques intemporelles et universelles.
Le livre aborde l'enjeu crucial de l'identité d'un peuple et de ce dont ses membres sont capables pour défendre son histoire. Certains abandonnent rapidement face aux menaces. D'autres, plus tenaces, font tout pour porter leur histoire avec eux, mais finissent par perdre espoir, et par tout laisser tomber, brusquement. Les derniers, comme Elsa, n'abandonnent jamais, portent en eux un courage à tout rompre, et portent en eux, jusqu'au bout, la mémoire de leurs ancêtres : « Être sami, c’est porter son histoire avec soi. Se trouver, enfant, devant un lourd sac à dos et choisir ou non de le porter. Mais comment oser choisir autre chose que de porter l’histoire de sa famille et de transmettre son héritage ? » .
Stöld est le récit d'une jeune femme courageuse, fière de sa culture, de son peuple, de sa langue, et prête à tout pour les préserver. C'est une histoire faite de personnages très attachants, comme Lasse, d'autres détestables, tels que Robert, ou encore de mères fortes et exemplaires. C'est une histoire drôle, attendrissante, révoltante. Les personnages paraissent authentiques. Aucune superficialité dans ce roman. Ainsi, après une scène terriblement émouvante entre un frère et sa sœur, en sous-sol, cet aveu, si bouleversant et plein de pudeur universelle : « À la surface de la terre, ils ne pouvaient de toute façon plus se regarder dans les yeux ».
Ajoutons que le roman permet de découvrir une culture et un mode de vie fascinants et inédits pour le lecteur français. C'est un de mes coups de cœur de cette rentrée littéraire !
QUELQUE CHOSE A TE DIRE, DE CAROLE FIVES (Gallimard)
Résumé : Elsa Feuillet, jeune écrivaine, admire l’œuvre de la grande Béatrice Blandy, disparue prématurément. Cette femme dont elle a lu tous les livres incarnait la réussite, le prestige et l’aisance sociale qui lui font défaut. Lorsque Elsa rencontre le veuf de Béatrice Blandy, une idylle se noue. Fascinée, elle va peu à peu se glisser dans la vie de sa romancière fétiche, et explorer son somptueux appartement parisien — à commencer par le bureau, qui lui est interdit…
Mon avis : Troublant, ce roman d'à peine 170 pages l'est assurément. Un peu comme dans un film de Hitchcock, dont les personnages explorent la filmographie tout au long du roman, tout va très vite, les relations entre les personnages évoluent sans même laisser au lecteur le temps de respirer, et la fin, là encore, bouleverse, interroge le lecteur, qui part ci et là scruter les éléments qui, tout au long du livre, lui fait s'exclamer ce fameux "Mais oui bien sûr !" que tout lecteur a connu un jour. Sans vous la dévoiler, évidemment, c'est une fin surprenante, très surprenante, même, mais ce n'est pas une fin possédant comme seule qualité le choc qu'elle produit, comme c'est très souvent le cas. Elle est subtile et assez bien tournée pour accompagner Elsa dans ses réflexions finales.
C'est un très bon thriller, court et efficace. Le lecteur y trouvera tous les ingrédients d'un bon titre de ce genre. Pas seulement. Car c'est aussi un roman sur le métier d'écrivain, sur les doutes qui l'assaillent, sur l'environnement qui l'entoure. C'est également un roman sur la guerre quotidienne qu'a à mener une mère célibataire, ces milliers de soldates inconnues dont on parle si peu. C'est aussi un roman sur le climat parisien, dans ses bons aspects mais aussi, vous l'aurez deviné, dans ce qu'il comporte de pire.
Tout ça, en 170 pages, et je vous en recommande vivement la lecture !
SOUS LES FEUX D'ARTIFICE, DE GWENAELE ROBERT (Le cherche Midi)
Résumé : Seul le bruit de la fête peut couvrir celui de la guerre. Lorsqu’un navire yankee entre en rade de Cherbourg un matin de juin 1864 pour provoquer l’Alabama, corvette confédérée que la guerre de Sécession condamne à errer loin des côtes américaines, les Français n’en croient pas leurs yeux. Au même moment, Charlotte de Habsbourg, fraîchement couronnée impératrice du Mexique, découvre éberluée un pays à feu et à sang.
Le monde tremble. Mais le bruit des guerres du Nouveau Continent ne doit pas empêcher la France de s’amuser. Encore moins de s’enrichir. Théodore Coupet, journaliste parisien, l’a bien compris. Envoyé à Cherbourg pour couvrir l’inauguration du casino, il rencontre Mathilde des Ramures, dont le mari s’est ruiné au jeu avant de partir combattre au Mexique. Ensemble, ils décident de transformer la bataille navale en un gigantesque pari dont ils seront les bénéficiaires. À condition d’être les seuls à en connaître le vainqueur…
Mon avis
Il y a ceux "qui se font pardonner d'exister en étant invisibles", et il y a les autres. Ceux qui ont absolument envie de faire savoir au monde qu'ils existent, ceux qui ont envie d'exercer un pouvoir, soit politique, soit financier, ou qui ont envie d'être reconnus et salués par leurs pairs. Le roman de Gwenaële Robert leur est consacré. Dans un monde bouleversé par les changements, on suit le destin croisé de l'ancien monde qui pense encore pouvoir dominer le nouveau monde, et du nouveau monde faisant de l'ancien un simple spectateur de ses luttes et intérêts. Ce n'est pas une transition, c'est une révolution historique.
J'avais adoré Le dernier écrivain, de Gwenaële Robert, l'histoire d'un grand auteur disparaissant le jour où il obtient le prix Nobel. Avec ce nouveau roman, c'est un tout autre registre, celui du roman historique. Et c'est une réussite ! L'autrice parvient, avec son style sérieux et dynamique, à entraîner le lecteur partout où l'action se passe. Le destin de cette jeune et nouvelle impératrice du Mexique suscite autant d'intérêt que celui de ce journaliste et de cette femme, trahie par son mari joueur, qui souhaitent faire de ce duel entre navires américains un terreau formidable pour se faire une reconnaissance journalistique pour l'un, une nouvelle fortune pour l'autre. Les personnages ont du relief, l'action est envolée et l'on ne s'ennuie à aucun moment. Le roman parvient à éclaircir toutes les ombres aperçues au cours du récit. Et certains dénouements sont même très inattendus.
Le roman est également un récit sur les conditions sociales dans un Second empire décrit de manière assez péjorative : un régime mondain, futile, tourné uniquement vers l'amusement et les bals dansants. Le regard est sans doute un peu sévère, mais l'on pardonnera cette maladresse historique eu égard au très grand plaisir de lecture que nous procure ce nouveau livre de Gwenaële Robert.
LES ÂMES DE CRISTAL, DE BENJAMIN RANDOW (Cohen et Cohen)
Résumé : Derrière les façades cossues de Verneuil-sur-Garance, ville résidentielle d'apparence si paisible, les passions se déploient à leur aise en cette année électorale ! L'ambition, l'amour, la jalousie, et le goût du Pouvoir fissurent violemment un vernis de respectabilité que chacun, pourtant, continue de porter comme un masque. Les Âmes de cristal résisteront-elles ?
Philippe Gontier, le maire sortant et qui entend bien le rester, est aux prises avec des opposants farouches, parmi lesquels le châtelain local. Et puis, il y a cette sombre affaire de lettres anonymes, qui bouleverse la petite communauté. Les solidarités se brisent, les caractères se révèlent, les secrets se propagent.
Mon avis : Benjamin Randow est un auteur qui ne manque pas de panache. Tel Cyrano, il n'hésite pas à toucher, dès lors qu'il en a l'occasion. Aucun obstacle ne l'arrête, ni les faux-semblants, ni les "qu'en dira-t-on", ni les censeurs. Tous les grands sujets de l'ère contemporaine sont broyés sous l'acidité de sa plume, pour notre plus grand bonheur. L'on rit beaucoup en lisant ce roman qui, pourtant, ne narre pas que des choses joyeuses, bien au contraire.
L'histoire d'une ville de province et ses tourments d'une élection municipale aurait pu être ennuyeuse et faire reculer certains lecteurs. Cela n'est pas du tout le cas, car les événements qui s'enchainent, les réactions des personnages, les aboutissements des fils qui entremêlement, sont poussés jusqu'à l'absurde dans cette sorte de farce du XXIème siècle. Le talent de l'auteur est de doser l'humour si cher à Rabelais et le sarcasme propre à Voltaire ou à Molière. Il y a, je dirais, toute l'histoire de la tradition littéraire française dans son aspect "burlesque" dans ce roman. Benjamin Randow se veut l'héritier des plus grands pamphlétaires de notre littérature, tout en écrivant un roman qui tient la route, et dont les enjeux sont certes développés jusqu'à l'absurde, mais n'en demeurent pas moins sérieux et fondamentaux.
C'est un roman drôle, pittoresque, et qui pousse le lecteur à la réflexion. Un très bon cru de cette rentrée littéraire.
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