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Mémo'art d'Adrien

SPQR : Histoire de l'ancienne Rome, de Mary Beard




L’histoire de Rome est fascinante. Qu’un petit village parfaitement ordinaire du centre de l’Italie ait pu dominer ainsi de sa puissance un territoire aussi vaste, déployé sur trois continents, m’a toujours surpris et décontenancé. Il y a comme un air de démesure dans le destin de cette cité. Il n’est à ce titre pas étonnant que cette histoire ait donné lieu à d’immenses chefs d’œuvre cinématographiques (les péplums demeurent encore aujourd’hui dans la légende du cinéma) ou à de légendaires succès populaires, tel qu’Astérix, en France.


Pourtant, nous connaissons tous les romains, leurs uniformes, leurs principaux empereurs, mais très peu ont lu des ouvrages entiers sur l’histoire de Rome. Les raisons sont multiples : trop de sources, trop de siècles, trop d’histoires à raconter, etc.


Désormais, il n’y a plus d’excuse. L’ouvrage de Mary Beard, publiée par les excellentes éditions Perrin, et réédité dans leur collection Tempus (un terme latin, on ne se refait pas!), expose, en quelques centaines de pages, un panorama complet et original de l’histoire de Rome. Ni héroïsation, ni diabolisation, dans cet ouvrage. Le principe n’est pas non plus de montrer que nous devons tout aux Romains, que nous avons tout à apprendre d’eux. Non, ce que Mary Beard souhaite entreprendre, c’est la mise en place d’un dialogue avec Rome, de sorte que, de cette confrontation, ne naisse notre propre conception de tous les grands concepts dont nous sommes héritiers des Romains : le pouvoir, la citoyenneté, la responsabilité, la violence politique, le luxe, la beauté, etc.


En outre, la fascination pour cette civilisation a pour origine la connaissance que nous en avons : « il n’est pas de période antérieure de l’histoire occidentale que l’on puisse connaître si bien ou d’une façon aussi intime (nous ne disposons pas de documents aussi riches et variés concernant Athènes au temps de la Grèce classique). Il faut attendre un millénaire pour trouver, à Florence, au temps de la Renaissance, une autre civilisation que nous puissions connaître d’une façon aussi détaillée ».


Ce qui fait la particularité de cet ouvrage, c’est que Mary Beard s’intéresse aux sources de l’histoire romaine, mais aussi à la manière dont les Romains eux-mêmes percevaient leur histoire, la racontaient, voire la manipulaient, afin de consolider l’avenir ou le présent. Cet aspect-là du livre intéressera évidemment les historiens. Un exemple parmi tant d’autres : les pages consacrées à la fameuse « conjuration de Catilina ».


Un autre exemple concerne celui des guerres civiles. Mary Beard montre que, contrairement à ce que les Romains du Ier siècle après J.-C. Affirmaient, ce n’était pas que la guerre civile fut le destin de Rome depuis sa création : « c’est bien plutôt Rome qui projeta dans la figure de son fondateur les obsessions que lui causait l’apparent cycle interminable de conflits civils qu’elle vivait ». Ainsi, en l’occurrence, l’histoire romaine est modifiée pour démontrer que la guerre civile lui serait consubstantielle. Autre exemple : « la description que Tite-Live donne de la mort de Romulus nous offre un vif aperçu de la manière dont on pouvait faire entrer en résonance le récit des origines de Rome avec des événements récents ».


Ainsi, Mary Beard n’établit pas une histoire strictement chronologique (bien que poursuivant dans l’ensemble une certaine linéarité historique). Elle aborde l’histoire de Rome autant par le temps que par les aspects de la vie romaine. Elle fait des allers retours dans le temps et dans l’espace. Cela rend la lecture évidemment passionnante, parce que dynamique.


Les origines de Rome sont abordées, de Remus et Romulus à l’effondrement de la monarchie, en passant, bien sûr, par le fameux épisode viol de Lucrèce, considéré par certains comme la cause de la chute de Rome. « Ce crime était certainement aussi mythique que l’enlèvement des Sabines, le viol marquant, symboliquement, le commencement et la fin de la période royale ». L’historienne ajoute que « la culture occidentale n’a presque jamais cessé de jouer sur le thème de ce viol. Botticelli, Titien, Shakespeare et Britten l’ont recréé. Lucrèce a même sa place dans l’installation féministe de Judy Chicago, The Dinner Party, parmi quelque mille autres héroïnes de l’histoire mondiale ».


Les guerres et les conquêtes romaines sont bien évidemment abordées. Ainsi, les campagnes militaires représentaient « un aspect déterminant de la vie romaine, au point que les historiens romains organisaient leurs récits autour de la succession des guerres ». Cependant, « les Romains n’étaient pas par nature dotés d’un tempérament plus belliqueux que leurs voisins et contemporains, pas plus qu’ils n’étaient naturellement plus aptes à construire des routes et des ponts ».

L’autrice estime d’ailleurs « nécessaire de regarder au-delà du carnage, pour terrible qu’il fût, et de mieux étudier la réalité et l’organisation de la guerre à Rome, d’enquêter sur les affaires politiques intérieures qui se trouvaient au fondement de son expansion, de comprendre les ambitions romaines et l’état géopolitique du bassin méditerranéen dans l’Antiquité, qui peut-être fut un facteur d’encouragement ». Les développements consécutifs à cet extrait sont vraiment passionnants !


L’ouvrage s’intéresse par ailleurs à la forme de gouvernement pratiquée à Rome. Ainsi, Mary Beard démontre que l »a République n’était pas seulement un système politique, c’était un ensemble complexe de relations mutuelles liant les affaires politiques à la temporalité, à la géographie et au paysage urbain de la Ville. Les dates étaient perçues en corrélation directe avec les consuls élus, les années étant marquées grâce aux clous que l’on plantait sur le temple de Jupiter dont la consécration remontait à la première année du nouveau régime ; même l’île sur le Tibre était le produit du bannissement des rois. Un principe suprême se trouvait au fondement de toute l’affaire : la liberté, en latin libertas ».


Or, justement, cette liberté est au cœur du livre, et elle nous amène à aborder la question des principes de gouvernement romains. Il est à ce titre démontré que la fin de la monarchie marquait la naissance de la liberté et de la République romaine. Cet amour de la liberté opposé à la monarchie explique que le mot rex soit par la suite associé à une injure politique.


L’ouvrage détaille par ailleurs, à plusieurs reprises, l’ouverture d’esprit qui caractérisait Rome, une disposition très étendue à assimiler les étrangers, les fameux « barbares ». Il est très souvent question du modèle de citoyenneté « à la romaine », de ce que signifiait « être Romain », de ce qu’impliquait l’appartenance à Rome. Ces grands débats étaient par ailleurs nourris par l’expansion de la puissance romaine : « l’expansion de la puissance romaine nourrissait aussi de grands débats et paradoxes sur la place de Rome dans le monde, de ce qui pouvait encore, à un moment où une si grande partie du monde méditerranéen était passée sous sa domination, être qualifié de « romain », enfin sur la question de savoir où était désormais la limite entre barbarie et civilisation, et de quel côté de celle-ci Rome se situait ».


En complément de ces aspects de l’histoire romaine, et outre les développements intéressants mais davantage connus de l’évolution de la République vers l’Empire, des guerres civiles successives et des modalités de succession au sein de l’Empire, l’ouvrage de Mary Beard se démarque absolument par sa capacité à présenter le quotidien des Romains, leur système de santé, leur économie, leur architecture et urbanisme, leur rapport au temps.


Tout cela, en quelques centaines de pages. Cela paraît incroyable. Car Rome ne s’est pas construite en un jour. Et qu’« ils sont fous ces Romains ». Et pourtant, tous les chemins mènent à Rome, de Mary Beard.


Senatus Populusque Romanus

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