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  • Mémo'art d'Adrien

Une joie sauvage et douce, d'Adeline Baldacchino



Le comble pour un critique littéraire est d’avoir à écrire un article sur un livre dont la beauté souffrirait d’être commentée. Le lecteur est comblé. Il ne saurait l’expliquer. Il a reçu tout au long de sa lecture des éclats d’un cristal littéraire pur. Comment qualifier la beauté sans la trahir ? Comment l’expliquer ? L’esthétique littéraire n’est pas magique, il ne s’explique pas à la fin d’un tour brillamment réussi.


Et pourtant le lecteur passionné souhaite transmettre cette beauté, la faire connaître, la partager. Les lignes qui suivent n’auront donc comme seule ambition que celle d’exprimer les émotions ressenties par la lecture du dernier ouvrage d’Adeline Baldacchino, « Une joie sauvage et douce ».


Dans cet essai poétique, la magistrate, qui est aussi poétesse, romancière et essayiste, s’inscrit à contre-courant du pessimisme ambiant autour de la parentalité, et conte, avec émerveillement et douceur, ses mois de grossesse et les premiers mois de son enfant.

Loin de toutes les menaces qui semblent planer sur le fait de devenir mère (la fin de toute jeunesse et de toute vie libre, pour ne citer qu’elles), la poétesse écrit qu’elle a cessé de vieillir, parce qu’elle est désormais « jeune à jamais de la jeunesse émerveillée de l’enfant ».


Le style est somptueux. La langue française atteint ses sommets dans ce récit. L’émerveillement progressif de la mère, qui répond et se confond à l’émerveil de l’enfant, semble sublimer la qualité stylistique d’Adeline Baldacchino. Faire défiler le cortège des belles formules serait inutile et impossible. Inutile, parce qu’elles ne sont pas esthétiquement belles dans un corps vide, mais elles servent le passage du livre dans lequel elles sont jetées. Impossible, parce qu’il faudrait en choisir, tant il y en a, et en écarter d’autres. C’est un des plus beaux livres que j’ai pu lire. Par des phrases simples, non dénuées de sens, tel un tour de magie littéraire, la poétesse perce l’armure du lecteur.


Une puissance grandit au fur et à mesure des pages et des mois : la « puissance d’être et d’aimer, d’exister et de donner, d’admirer et de partager ». La force de cet ouvrage est de rejeter l’idée d’associer la négation de soi et le sacrifice au fait de devenir parent. Selon l’essayiste, la maternité est une puissance, une métamorphose, un « invraisemblable pouvoir », un « sortilège ». La grâce d’aimer un autre plus que soi n’est pas un effacement, mais une affirmation de soi.


Naturellement, l’écrivaine ne nie pas la terreur et l’angoisse qui viennent défiler aux côtés de l’émerveil. Elles lui sont liées, et pas opposées. Parce que donner la vie « sera permettre la mort, inévitablement », Adeline Baldacchino souhaiter donner à son enfant « les moyens de pratiquer la théorie de l’émerveil, l’autre nom de la vie poétique ». Pour cela, la mère dispose de plusieurs armes, comme « le devenir fée », la célébration « des loups et des chamanes », « le génie d’exister », « la philosophie de l’attente ». Ce manuel poétique de la maternité est d’une douceur incomparable. Et si inspirante, même pour le jeune père que je suis. Surtout, pour le père que j’aspire à devenir.



Les premiers jours « fermentent les souvenirs impossibles », et font comprendre à l’écrivaine, qui faisait de la littérature un élément essentiel de sa vie, que tout est littérature, « sauf la vie qui se déroule ici et maintenant ». Au-dessus, de la littérature, il y a le rire d’un enfant. Au-dessus de la littérature, il y a ce regard, dans lequel on se surprend à se perdre pendant des heures. Au-dessus de la littérature, il y a les premiers sons, qui ressemblent presque à des mots, et qui sont, tous, plus merveilleux qu’un roman. Au-dessus de la littérature, il y a ces gestes, ces découvertes du corps, ces jeux de jambes, le basculement soudain en arrière d’une nuque fragile.


Il y a cet enfant qui vous prend par la main, alors qu’on s’était imaginé lui montrer le chemin. La mère se voit offrir l’émerveil par l’enfant à qui elle avait promis de l’apprendre. La femme reçoit une leçon de son enfance qu’elle croyait perdue.


Tout est beau dans ce livre, y compris les peurs qu’il renferme.


La transmission en est un élément essentiel. La mélancolie de la mère est poignante, lorsqu’elle écrit qu’un jour, elle ne sera plus là. La peur d’être oubliée ne l’effraie pas. Mais que ceux qu’elle n’oublie pas le soient, en revanche, est une obsession pour elle. Elle souhaite transmettre à son enfant l’amour de la transmission. Recevoir et donner. Apprendre que « nous sommes inscrits dans la vaste chaine ininterrompue des vivants ». Comprendre par le miroir et la magie que les « images construisent un pont entre l’imaginaire et le réel ».


Il m’est impossible de conclure et d’apposer un point final sur ce texte désordonné. Adeline Baldacchino est une des plus grandes figures intellectuelles de notre temps, déjà. Elle m’a ému dans son roman, exceptionnel, « Celui qui disait non », elle m’a touché par son recueil de poésie, « Théorie de l’émerveil », elle m’a fasciné par ses essais « La ferme des énarques » et « Notre insatiable désir de magie ». Là, avec cette Joie sauvage et douce, tous les sentiments se mêlent. Toutes les cohérences s’entrecroisent.


J’ai aimé me perdre dans cette joie « envahissante », « labyrinthique et sans pareil ». J’ai aimé lire ce livre jusqu’à la dernière tâche d’encre dont j’aurais souhaité qu’elle ne séchât jamais. J’aurais aimé pouvoir effacer cette goutte, tombée de mes yeux, qui signe désormais cette dernière page des traces de ma lecture.


Je suis un être pudique. Je ne l’ai pas écrit sur mes réseaux « sociaux », car cela n’était pas sa place. Mais cet endroit est différent. C’est ici que mon aventure littéraire a débuté. C’est ici que je veux l’annoncer. Je suis père. Depuis six mois. J’ai ressenti au plus profond de mon être cette théorie de l’émerveil et cette joie sauvage et douce.


Adeline Baldacchino écrit qu’elle est la plage du débarquement de son fils. Elle écrit aussi, dans un Français toujours aussi somptueux, que « le temps court se contracte et le temps long se dilate ». Elle remarque enfin, très intelligemment, que l’homophonie entre mère et mer n’est pas « un simple hasard de la langue ». C’est une « réplique macrocosmique de l’utérus maternel, la mer nous invite à toutes les dérives fantasmatiques ».


Le père n’est pas une plage, il est la barque qui accompagne l’enfant jusqu’à son débarquement. Son homophonie avec « Paire » ne relève pas davantage du hasard. Car il est là, aux côtés de la mère, pour transmettre, et apprendre. Mes yeux se sont dilatés en achevant ce livre. Ils ont versé cette petite goutte, extraite de la vaste mer, en lisant cette mère si pleine de grâce.

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