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Mémo'art d'Adrien

Via Appia, de Jacques de Saint-Victor

Dernière mise à jour : 7 janv. 2023



« Questa è la storia

Di uno di noi »


Comment ne pas songer à fredonner les premières paroles de cette superbe chanson d’Adriano Celentano, « Il ragazzo della via Gluck », en achevant la lecture de ce récit de Jacques de Saint-Victor, Via Appia. Alternant les promenades stendhaliennes et l’itinéraire digne d’un Chateaubriand, l’historien et critique littéraire nous fait profiter d’un long voyage de plusieurs centaines de kilomètres sur la via Appia, cette fameuse voie romaine partant de Rome jusqu’aux pouilles.


Ce n’est pas un itinéraire choisi au hasard sur une carte, après avoir gagné au loto, superficiellement. Bien au contraire, le but que s'est assigné l'historien dépasse le simple aspect matériel ou touristique. En effet, Jacques de Saint-Victor souhaite toucher « charnellement à ce qui avait été notre berceau », en empruntant cette voie qui « apporta la civilité partout où elle passa ».


Ainsi, telle la campagne romaine qui « défilait au ralenti », l’ouvrage fait apprécier au lecteur tous les charmes de cette partie de l’Italie, les senteurs des campagnes, ses ruines, ses monuments historiques, sa douceur de vivre, sa cuisine, la primauté de l’Esthétique sur le Pratique (jusqu’à avoir inscrit dans sa constitution, dès 1948, que la République protège le paysage et le patrimoine historique et artistique de la nation !) :


« Dans les plus petites villes italiennes, dans certains villages qu’on ne découvre qu’après plusieurs années de séjour en Italie, il existe dix, vingt monuments dont chacun suffirait ailleurs à faire la réputation d’une province, voire d’un pays entier » (Jean-François Revel).


L’ouvrage de Jacques de Saint-Victor ne constitue pas un énième guide de voyage tel qu’il est possible d’en trouver, en surnombre, dans les rayons de nos librairies. Il n’est pas non plus un récit d’aventures ou une simple déclaration d’amour à un pays autre que le sien.


L’ouvrage de Jacques de Saint-Victor est un véritable objet littéraire.


D’abord, parce que l’auteur possède un talent d’écriture indéniable. Le choix des mots, le rythme des phrases, la sonorité des enchaînements linguistiques, sont autant d’ingrédients d’une recette littéraire habilement et magistralement réussie. Le lecteur tourne les pages avec délice, là où le genre du voyage finit par lasser, chez certains auteurs. En l’espèce, l’ennui n’envahit à aucun moment l’âme du lecteur. C’est un récit de voyage digne du riche héritage de la littérature française en la matière.


Ainsi, l’auteur évoque une « terre fatiguée de gloire », dans laquelle « il est plus facile d’hériter de la sagesse des Antiques quand on les côtoie au quotidien » et où « les idées n’ont pas de portée ».

Ensuite, parce que l’auteur réunit en lui la capacité à rendre son texte esthétique, pertinent et comique. On rit beaucoup, et souvent, à la lecture de ce Via Appia. Parfois, même, à mon détriment (je ne compte plus les évocations, multiples, d’une « côte basque pluvieuse »). Le livre fourmille par ailleurs de formules mêlant le cynisme et la distance propres au sud de l’Italie, si cher à l’auteur : « Je commençais à me lasser à force de marcher sur cette route sublime ». Prônant « l’esprit de flânerie », la liberté, l’absence de contrainte physique, l’auteur use de tous ces prétextes pour, très rapidement, abandonner la marche (n’omettant pas, plein d’auto-dérision, d’évoquer furtivement une préparation physique très légèrement insuffisante), et privilégier la voiture :


« Pour se fondre dans la masse et mieux l’observer, il fallait se déplacer comme elle. Je me décidai donc à abandonner la marche. Vive la flânerie automobile... ».

L’auto-dérision et la décontraction vont jusqu’à lui faire avouer son amour pour la variété italienne. Ainsi, que le lecteur ne se surprenne pas de lire, entre un vers de Baudelaire et une citation de Mme de Staël, le titre d’une chanson de Celentano ou d’Eros Ramazzotti. Jacques de Saint-Victor est un érudit, sans concession, et le véritable érudit peut se permettre, ainsi, de figer dans l’éternité d’un livre Bourvil au même rang que Pasolini.



Là réside, à mon sens, le secret de ce qui fait de ce Via Appia l’un des meilleurs livres jamais écrits sur l’Italie. L’auteur parvient non seulement à sublimer et à mettre en valeur la péninsule transalpine, mais il le fait en adoptant, dans son écriture, l’état d’esprit si typique de cette partie de l’Italie. Il semble même transformer son écriture au fur et à mesure qu’il progresse vers le Sud. Chaque chapitre est une étape stylistique de la fameuse voie romaine.


Le potentiel comique du livre réside, en outre, dans le personnage de Michela, la femme de l’auteur, qui, adoptant l’attitude que pourrait être celle du lecteur, mesure parfois l’enthousiasme du narrateur, s’étonne de certains de ses choix, s’en moque, même. La présence, en filigrane, de ce personnage, est un vrai atout. L’auteur s’amuse même, avec tendresse, des nombreuses moqueries et interventions de sa conjointe :


« cette façon de se rendre déplaisante était un mode de fonctionnement ; une pudeur amoureuse ».

Enfin, l’ouvrage est un véritable objet littéraire en ce qu’il est un roman de la nostalgie, d’un retour à l’enfance, d’une douceur de vivre perdue et évaporée dans le panache de fumée de la modernité, qui a, paradoxalement, fait disparaître le panache de la France d’Alexandre Dumas, « une France baroque, fougueuse, franche, que je parcourais avec les yeux de mon père, qui n’avait rien à voir avec les jardins à la Le Nôtre ».



Un peu comme dans la chanson d’Adriano Celentano, Jacques de Saint-Victor propose un texte sensible et émouvant, duquel émerge le regret d’un monde perdu, à travers la figure de son père, qui ne s’évapore jamais tout au long des pages :



« Je crois que j’ai longtemps aimé l’Italie parce qu’elle m’a paru symboliser la France telle que j’aurais rêvé qu’elle soit. Il y a quelque chose d’absurde d’aimer un pays qui n’est pas le sien. Mais c’est parce que ce Sud me rappelait la France que je m’étais imaginé, enfant ».


Il m’est difficile de ne pas vous exprimer tout ce qui, dans cette œuvre, me la fit tant aimer. Quel cruel destin de devoir choisir, afin de ne pas vous en dire trop. Ceux qui me lisent depuis les débuts de ce blog savent que j’essaie, toujours, de transmettre l’émotion que je vis par la lecture d’un livre. Il n’est pas toujours aisé d’y parvenir. Le risque « d’en faire trop » plane sans cesse au-dessus de nos épaules.


Ainsi, vous ai-je écrit tout ce que de nostalgique, de comique et d’esthétique m’inspirait ce roman. Mais s’arrêter là s’avérerait incomplet. Ce serait trahir l’esprit du livre. Ce n’est pas le livre d’un touriste nostalgique s’arrêtant ci et là dans les plus beaux sites du sud de l’Italie. La force de cet ouvrage, celle qui le place entre le Tour de l’Italie de Anna-Maria Ortese et le Pas de l’oie d’Antonio Tabucchi, c’est qu’il nous livre, en fin connaisseur, ses impressions et ses remarques sur l’Italie et ses récentes évolutions : les problèmes liés à la Mafia, les crises du tourisme, la problématique liée à l’accueil des migrants, l’aridité de la civilisation matérialiste et ses dangers sur les traditions culturelles italiennes. Chaque étape fournit une anecdote au voyageur : la rencontre avec Talleyrand à Bénévent, les ruines d’une Italie fasciste dans certaines villes, les traumatismes de Monte Cassino ou, encore, une physiologie de la plage absolument délicieuse à découvrir. Voyager avec Jacques de Saint-Victor, c’est s’installer à l’arrière du véhicule d’un guide qui, s’arrêtant à chaque village, a tant à dire.


« La véritable liberté, ne cessait de répéter Michela, c’est de pouvoir être soi-même avec l’autre, sans avoir besoin de fuir ou de faire des efforts pour être autre chose que ce que nous sommes ». Tout au long de son voyage, Jacques de Saint-Victor fut lui-même, sans ne jamais fuir. Il eut même la générosité de nous en laisser une trace, par ce superbe roman, que je vous recommande très chaleureusement : le roman d’un « ragazzo della via Appia ».


Eh no Se andiamo avanti così, chissà Come si farà Chissà Chissà Come si farà


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